– 196 °C ἄζωτος

Pour mettre en valeur l’énergie créatrice générée dans ses lieux hybrides d’occupations temporaires, SOUKMACHINES, en concertation avec des artistes résident.e.s, a fait appel à Marion Zilio, commissaire, pour penser l’exposition.
-196 * C est le fruit de cette première collaboration qui réunit 17 artistes du PRéàVIE, ancienne usine de salaisons revitalisée par SOUKMACHINES.

Exposition collective -196 °C ἄζωτος au PRéàVIE, du 4 au 20 février 2022 (les samedis et dimanches entre 14h et 18h, ou sur rendez-vous)
Vernissage le 4 février 2022, à partir de 19h (inscriptions)

Avec les artistes : Chedly Atallah, Clémence Althabegoïty, Gabrielle Le Bayon, Diane Benoit Du Rey, Clément Bouissou, Yannick Dangin-Leconte, Ibai Hernandorena, Shengqi Kong, Gabrielle Kourdadzé, Vanina Langer, Louise Lan Millot, Miguel Miceli, Jean-Baptiste Monteil, Julien Richaudaud, Pierre Seiter, Alice Suret-Canale, Lise Thiollier

Sur une proposition de Marion Zilio,
assistée par Elise Brefort

Prenons acte de la vie des œuvres, de leur écologie, de leur circulation, de leur mode d’apparition, considérons que nos images, peintures, sculptures, photographies ou vidéos sont l’expression d’une vie qui se matérialise hors du corps en poursuivant son chemin par d’autres moyens, que faire de ces êtres à moitié vacillants ? L’espèce humaine a toujours cherché à dominer ou domestiquer le vivant, en inventant des espaces de monstration de la vie : vivariums, aquariums, zoos, musées, réseaux sociaux. Chaque fois, la vie y est comprimée, épinglée, cataloguée ou exhibée comme des rats de laboratoire, des autoportraits de Rembrandt ou des selfies sur la toile. 

De la Chine antique à l’Égypte pharaonique, en passant par la cryogénisation du sperme, des ovocytes, des cellules souches ou encore de riches milliardaires russes ou américains, l’humain perfectionna des techniques d’embaumement pour figer les flux, conserver des présences disparues : des momies aux photographies, des écritures aux datacenters, nos archives sont des cimetières de mémoire, des chambres froides de denrées périssables. Ralentir la vie, son inexorable fuite en avant, fut sans doute notre plus grande obsession. Désormais des corps reposent à quelque -196 °C, en attente d’être réanimés. Partout des fossiles, du plastique, de la mémoire humaine et terrienne en stock et en pagaille témoignent d’existences révolues, comme si notre espèce avait anticipé sa fin programmée. Nous cohabitons avec le passé et anticipons les ruines à venir. Si bien que notre présent sera toujours déjà passé. Post-contemporains de nous-mêmes.

Les œuvres présentes dans l’exposition -196 °C ἄζωτος délivrent des capsules de temps ou des utopies manquées. Elles sont une mémoire fragile, un arrêt impossible dans la flèche du temps. L’azote, dont le terme fut inventé par le père de la nomenclature chimique, Antoine Lavoisier, en est un dénominateur commun. Ainsi passa-t-on de l’alchimie à la chimie et d’un langage ésotérique à un monde soumis à des lois et une taxonomie propre à la rationalité des Lumières. Composé du a (privatif) et du radical grec ζωτ (vivant), il signifie littéralement « privé de vie » ἄζωτος, ázôtos. Il est encore l’invivable, l’insupportable. Pourtant, et malgré son nom, l’élément chimique (N7) est un des composants principaux de l’atmosphère (78 %), des écosystèmes et des agrosystèmes. À l’état liquide (LN2), il a des applications alimentaires (engrais, congélation), médicales (conservation de tissus et organes, thérapie) et industrielles (simulation spatiale, explosifs). Il cause des brûlures froides et provoque des excitations cérébrales (gaz hilarant), puis de l’anesthésie. À l’image de l’azote, les œuvres entreposées dans les frigos du PRéàVIE activent leurs propres paradoxes temporels et transformations d’un état à un autre, entre conservation et préservation, accumulation et stockage, soin et destruction. 

FRIGO LN2N7

1 — Gabrielle Le Bayon

 L’échelle des signes (The Scale of signs), 2016, HD vidéo, 16:9, 5 minutes 

À partir d’un travail d’écriture, voire de poésie, pouvant aboutir à des films, des performances, des photos ou des livres d’artiste, Gabrielle Le Bayon propose une réflexion sur la représentation de la femme à travers les âges et les énoncés. Issu d’un plan séquence du film Silent Routes réalisé en 2016, The Scale of signs est un voyage dans notre mémoire qui déroule les pages d’un livre d’Histoire à la gloire des Hommes. Le désir y est perçu comme un « outil qui détourne l’existant pour produire un court-circuit à l’échelle des signes ». Au fil des pages, que l’on remonte à l’envers comme si l’on cherchait à déstratifier les couches d’un traumatisme enfoui, s’éprouve la lente et inexorable mise en ordre du monde par et pour les hommes. D’architectures ou sculptures victorieuses en institutions d’état, ce sont les infrastructures patriarcales et les rapports de pouvoirs, dictant les traces d’un passé dont on a pas fini de tourner les pages, qui s’étalent sur la table.

BIO : Née en 1981 à Paris. Artiste-cinéaste, diplômée du Royal College of Art, la pratique de Gabrielle Le Bayon englobe principalement vidéo, installation, performance et écriture. Son travail a été exposé et projeté au MOCA, Hiroshima (solo); CNACC, Santiago de Chile; W139, Amsterdam; Heinzer Reszler, Lausanne, Suisse; Titanik Galleria, Turku, Finlande; Wonder/Fortin, Paris. En 2017 elle reçoit le Visual Art Fellowship de la Fondation Civitella Ranieri. Entre 2018 et 2019 elle est sélectionnée au FID Lab, Marseille; Discover Award, Loop Barcelona; Seminar, Oberhausen International Short Film Festival; Feature Expanded – European Artist Film Program, UK/ IT; G.R.E.C (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques), Paris. Ses films sont dans les collections du British Artist’s Film & Video Study Collection, Central Saint Martins et de Videocloop, Loop Archives.

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2 — Vanina Langer

Enigme VII, 2019, Dessin et collage papier

Vanina Langer explore des mondes infinis et crée des fables, sur plusieurs années, où évoluent des femmes aux destins singuliers pour penser les relations entre l’humain et le cosmos. Femme de pouvoir accédant au trône à seulement 17 ans, Cléopâtre symbolise une icône de beauté fatale dont on oublie qu’elle fut une stratège redoutable, une polyglotte maniant neuf langues, et à l’origine de la reconstitution du fonds de la bibliothèque d’Alexandrie. Incarnée au cinéma par Elizabeth Taylor ou encore Monica Bellucci, la reine d’Égypte a cristallisé les imaginaires donnant lieu à de très nombreuses représentations, du théâtre aux jeux vidéo, de la musique à la TV, en passant par l’art contemporain ou la bande dessinée. Son regard emblématique, cerné de khôl, construit une image d’éternité qui accompagne l’émancipation des femmes contemporaines, lors de la redécouverte de la tombe de Toutankhamon. Phénomène de mode ou de force, le khôl fut porté par les rois et les reines, mais aussi la plupart des Égyptiens, enfants compris, car il renforçait les défenses immunitaires par la production de monoxyde d’azote. Il fut en cela un précieux allié contre les sables, au point que certains chercheurs émettent l’hypothèse que la civilisation égyptienne doit son développement à cette invention.

BIO : Née en 1980, formée à l’UMB à Strasbourg, Vanina Langer est agrégée en Arts plastiques. Entre galeries et friches parisiennes, ses « lianes » » s’élancent en 2D et 3D, dessins et installations. Entre 2019 et 2020, elle entre dans des collections prestigieuses, est visitée par l’ADIAF et présentée au Prix des amis du Palais de Tokyo. En 2021, elle participe à la Drawing Factory avec l’équipe de Drawing Now et est remarquée pour son installation FAIRE L’AUTRUCHE, œuvre totale déployée dans les 800 m2 du Garage Amelot. Elle est actuellement retenue pour une commande publique avec la Cité Internationale de la tapisserie d’Aubusson : œuvre spatiale de 50 m2 en hommage à George Sand.

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3 — Alice Suret-Canale

Pieds enflés, pièce n°6 de la série “Clichés et probabilités”, 2020, Acrylique et huile sur toile de lin tendue sur châssis, 72,5 x 116 cm

La peinture d’Alice Suret-Canale s’inspire de la pensée du numérique, et la façon dont ses technologies ont ouvert d’autres manières de voir : décentrées, démultipliées, hybridées. Dans ses toiles, les corps sont des figures indémêlables, des amas de membres où se distinguent parfois des visages. Impossible de déterminer leur nombre, ils ne semblent être qu’un, un corps en symbiose avec lui-même, en perpétuel mouvement, une esquisse chorégraphique de la fluidité. De ces excroissances, pareilles à des mamelons ou des organes génitaux, s’entrevoit une profondeur, une percée aussi bien dans la toile que dans la figure elle-même. La vision n’est plus de l’ordre de l’œil. Perception et sensation se pensent au prisme de visions simultanées, en opposition au point de vue unique issu de la perspective linéaire. Le corps est évolutif et dissolu, se régénérant telle une méduse. Ces nus à la chair molle sont des masses informes et protubérantes, circulant et se multipliant de trou en trou, de toile en toile, créant ainsi un entrelacs charnel sans fin. (EB)

BIO : Née en 1986, Alice Suret-Canale est artiste peintre et docteure en Esthétique, sciences et technologies des arts. Elle a présenté son travail à Paris (Espace Voltaire, Le Préavie, Yellow cube gallery, 2021) et à Londres (The Tub Hackney gallery, The Auction collective, 2021), à Levie (résidence et solo, 2019), à Sarajevo (résidence et groupshow, Preporod gallery, 2018) et à Taipei (MOCA, 2014). Elle a co-fondé le collectif La Mécanique du Plastique et réalisé plusieurs films d’animation (Prix Ars Electronica et 1er Prix de l’OISCA Osaka en 2013, sélection officielle au festival d’Annecy 2013 et Clermont-Ferrand 2014).

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4 — Shengqi Kong

Théâtre anatomique, 2018, Tilleul taillé, 100 x 70 x 198 cm 

Architecte de formation, Shengqi Kong a la passion des coupes. Ces sections ont pour vocation de révéler les entrailles d’un bâtiment. Inspirée du théâtre anatomique italien, où l’on procédait à des dissections en public, et des Vierges ouvrantes médiévales, sorte d’armoire contenant des scènes de la passion du Christ, Shengqi Kong sculpte la chair du bois pour personnifier un corps qu’elle redresse ensuite à la verticale, tel un totem. Animiste et pressentant que les animaux, les végétaux ou les objets inanimés sont des « êtres dotés de sentiments », elle dialogue avec les différents caractères des bois et nous invite à endosser d’autres points de vue, en se fondant dans la matière et les œuvres qu’elle anime. Théâtre anatomique participe de cette vision du monde, ne faisant pas de distinguo entre l’esprit et le corps, à l’opposé de la pensée mécaniste et dualiste de Descartes. Chaque organe est ainsi lié à une émotion susceptible de causer maladies ou déséquilibres.

BIO : Née en 1989 à Pékin, Shengqi Kong obtient une licence en architecture, puis travaille comme architecte durant deux ans. Elle commence la pratique de l’art plastique en France, qu’elle perfectionne à l’École des Beaux-Arts de Paris à partir de 2016. En 2018, elle est diplômée d’un DNSAP avec les Félicitations du jury. Suite à son diplôme, elle participe à  deux résidences d’artistes et de nombreuses expositions. Elle réalise parallèlement plusieurs projets aux Beaux-Arts de Paris avec les entreprises-mécènes. Elle travaille actuellement comme membre de l’atelier Nabuzardan au Préàvie.

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5 — Pierre Seiter

Archive de beurre, 2018, Tirage chromogène contrecollé sur aluminium et caisson en plexiglas, 37,5 x 53 x 8 cm 

Comment donner corps à une image, lui rendre sa nature organique, en acceptant le fait qu’elle évolue et, donc, née, vie et meurt ? Sensible aux éléments protecteurs, aux surfaces et enveloppes, couvertures de livre, sacs plastiques et autres couvre-chefs, Pierre Seiter s’intéresse aux qualités d’absorption qui (re)double la forme ou la figure. Avec Archive de beurre, le photographe tente de traduire l’idée d’archive dans un matériau impropre. Tout en reprenant les normes archéologiques (fond gris neutre, étagère, collection), il annule le concept d’archive et montre que ce dernier n’existe que par les conditions de sa conservation, son conditionnement ou sa manière d’être classé, selon un ordre inexorablement arbitraire et subjectif. Par une douce ironie, il aborde notre consommation d’images et l’évanescence de notre patrimoine immatériel, en focalisant son attention sur le passage d’un état à un autre et la porosité d’un objet à son support de monstration.

BIO : Né en 1992 à Blois, Pierre Seiter commence ses études à l’École des beaux-arts de Rennes avant de poursuivre aux Beaux-Arts de Paris, dont il est diplômé en 2017. À l’occasion de PhotoSaintGermain, en novembre 2017, il réalise sa première exposition personnelle, Double Single. Il remporte le prix de photographie lors de Felicità 18. En 2019 il intègre les collections du FRAC Normandie Rouen. Dans la continuité du festival 100% à la Villette, son travail est actuellement exposé à Bruxelles dans l’exposition Emergences.fr. Il est membre du collectif Nabuzardan.

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6 — Yannick Dangin-Leconte

My traditional…, 2005-auj., Capsules vidéos issues du vlog ydlorphans 

Yannick Dangin-Leconte commence un vlog en 2005 sur YouTube, alors que les réseaux sociaux n’ont pas encore conquis le monde ni les influenceurs les esprits. Via de minis saynètes de presque rien, YDL accumule des instants de vie. Filmées en noir et blanc, ces capsules vidéo suspendent le temps et dramatisent un présent qui paraît sans consistance, où le réel bascule dans la fiction. Plans fixes, accélérations, miaulements ou fonds sonores d’informations, YDL dresse une autobiographie personnelle par l’absurde renvoyant au futur d’une hypermnésie et d’une exhibition collective. Ainsi revisite-t-on l’échelle du temps par l’ordinaire, le taillage d’une barbe aux ciseaux à ongles, la rencontre d’animaux empaillés au muséum d’histoire naturelle, la cuisson ratée d’œufs brouillés, une consultation chez le médecin. Impassibles, nous assistons à l’obsolescence programmée d’un monde, à travers la vie d’un homme mélancolique et d’un chat insouciant semblant cloîtrés dans un appartement, telle une prémonition.

Remerciement à TV STORE pour le prêt des moniteurs.

BIO : Né en 1978, à Chalon sur Saône, Yannick Dangin-Leconte est artiste pluridisciplinaire, peintre et réalisateur. Depuis 2006, il réalise des clips notamment pour Morthem Vlade Art et Stupeflip. Il a participé aux festivals VIDEOFORMES à Clermont-Ferrand, Traverses Vidéo à Toulouse, ADAF à Athènes et au festival du film de Deauville. Il publie un vlog sur YouTube depuis 2005, dont il a été un des influenceurs avant de se faire bannir par deux fois, ce dont il n’est pas fier. Ses vidéos ont été vues plus de 60 millions de fois. Peintre, il a exposé au Salon des indépendants et Art 2000 Contemporain, et plus récemment à la Kulte Gallery de Rabat et à Spend à Paris.

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7 — Clémence Althabegoïty

Archive éthérée, 2020-2022, Échantillons de mousse végétale, taille variable

Plasticienne et designer, Clémence Althabegoïty examine la manière dont certains éléments intangibles sont révélés grâce à l’interaction d’autres matériaux. L’installation Archive Éthérée, initialement exposée dans la cour de l’Hôtel Coulange, déploie un échantillonnage de mousses dont les propriétés de rétention permettent d’évaluer la quantité et la répartition des particules polluantes absorbées. Bioindicateurs et bioaccumulateurs, ces bryophytes conservent l’empreinte de l’atmosphère qui les entoure, fournissant ainsi des informations sur la qualité et les conditions du milieu. Véritable « mémoire de l’air », les mousses sont des sentinelles de l’évolution, les gardiennes d’une biosurveillance active. Considérés comme des organismes pionniers, les bryophytes ont participé à la colonisation de la terre ferme au Cambrien. Ces végétaux qui s’engendrent par clonage et peuvent résister un temps à l’action de l’azote liquide à – 196 °C sont, sauf accident, théoriquement immortels.

En partenariat avec le MNHN (Sébastien Leblond et Caroline Meyer)

BIO : Née en 1993 à Paris, Clémence Althabegoïty est designer et plasticienne. Elle est diplômée du Centre for Research Architecture de Goldsmiths en 2019, de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2018 et de la Design Academy Eindhoven en 2016. Elle est lauréate de la bourse Traversées, du concours FAIRE (Pavillon de l’Arsenal) et de la catégorie Art et Création de Wisewomen.

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8 — Lise Thiollier

Le grand déménagement, 2021, Technique mixte (grès, porcelaine, résine, miroir, plâtre, os, fleur séchée), 2,50 m x 1,50 m

Anthropologue de formation, Lise Thiollier réitère les méthodes d’enquête propre à sa discipline, en cherchant à établir des relations entre formes, images et langages pour en extraire de nouveaux récits. Ses sculptures présentent des allures organiques, biomorphiques ou anthropomorphiques, dont les anomalies et monstruosités apparentes manifestent des viscosités et des processus de mutations en cours. Figées dans du grès, dont les sédimentations ou cimentations naturelles de sables sont à l’origine de la vie sur terre, ses moulages évoquent des temporalités hétérogènes et expriment le paradoxe du « mou dans la forme ». Disposées sur ce qui ressemble à une table d’opération, ses recherches activent des imaginaires biomédicaux, des ossuaires hybrides ou des bifurcations évolutives susceptibles de créer de nouveaux taxons. Accompagnées de fleurs séchées et de boîtes de conservation, ses sculptures à l’aspect minéralisé et fossilisé agencent un trouble taxinomique. Elles marquent un arrêt dans le processus métamorphique, une empreinte dont on ne sait si elle provient du passé ou du futur.

BIO : Née en 1992 à Paris, Lise Thiollier est une artiste franco-chilienne. Elle est sculptrice et travaille principalement la céramique. Avant de se consacrer à la sculpture, elle a étudié l’anthropologie au Royaume-Uni. Elle s’est formée à la sculpture en autodidacte, et construit son parcours à travers des expériences dans différents pays (Mexique, Égypte, Grèce, Autriche). En 2019, elle effectue une résidence en Grèce avec le soutien de l’Institut Français et participera, en septembre 2022, à une résidence dans le Nord du Chili. Elle a participé à plusieurs expositions collectives en France et en Suisse. 

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9 — Gabrielle Kourdadze

Still, Life (IRM) n°2 et n°3, 2021, Encre sur papiers, 18 x 24 cm chacune

D’origine franco-géorgienne, musicienne et née d’une gémellité, Gabrielle Kourdadzé joue des superpositions et des enchevêtrements d’images pour constituer des corps intermédiaires, métissés par une double identité. Still, life (IRM) mobilise des zones de son cerveau responsables de la perception du mouvement et de son empêchement par le diagnostic d’une sclérose en plaque. Tissées avec des fleurs fanées tenues du bout des doigts, les abstractions issues de l’imagerie médicale et des conventions neurologiques évoquent le plissé de drapés baroques, la rencontre de deux cycles de vie. Accompagnés d’une bande sonore composée à partir de ses dessins à l’encre, l’œuvre convoque ses propres paradoxes (sec humide), ainsi que les dissonances et les harmoniques d’une nature morte à l’origine de nouveaux processus organiques.

 

BIO : Née en 1995 à Paris, Gabrielle Kourdadzé a été diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris en 2019. Elle a montré son travail dans diverses expositions à Paris (galerie Valérie Delaunay, Heart Gallery, Mairie du 18ème arrondissement) et a été résidente en 2021 à la Drawing Factory (Paris). Elle est actuellement en résidence aux Ateliers du Plessix-Madeuc (Bretagne) jusqu’en juin 2022. 

 FRIGO H6H7

1 – Julien Richaudaud

Fongus#2, 2021, Tirage pigmentaire, 18 x 24 cm
Solution d’un problème #1 (cuivre), 2021 ; Solution d’un problème #2 (argent), 2021 ; Solution d’un problème #3 (or), 2021, Sérigraphie sur tirage chromogène / pièce unique, 40 x 30 cm chacune

Julien Richaudaud produit des objets insolites en vue de les photographier et de ne conserver que leurs archives. Maîtrisant toute la chaîne de production, il organise ensuite des récits autour des outils et des processus chimiques de la photographie. Ainsi Fongus#2 est la photographie d’une optique de chambre ayant été infestée par les spores d’un champignon qui prolifère et “bouffe” le vernis apochromatique, destiné à corriger les aberrations de couleurs. La photo rend compte des dommages du temps et pose le paradoxe d’une vie qui se meut au détriment d’une autre. La série Solution d’un problème #3, issu d’un ouvrage éponyme sur les prémices de la couleur en photographie, présente une variation de sacs de transport destinés à stocker et protéger les papiers sensibles de la lumière. Détériorés et rafistolés par des bouts de scotch, ces tirages sont ensuite sérigraphiés afin d’évoquer les métaux fondamentaux dans l’histoire de la photographie (cuivre, or, platine…).

BIO : Né en 1989, à Longjumeau. En 2010, il entre aux Beaux-Arts de Bordeaux pour développer une pratique de photographe dans un contexte de pluridisciplinarité. Il est admis en 2013 aux Beaux-Arts de Paris dans l’Atelier d’Éric Poitevin, et est diplômé en 2017. En 2019, il met en place un atelier de photographie pour des adolescents à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il est membre du collectif Nabuzardan depuis 2020. 

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2 – Jean-Baptiste Monteil

Cartouche, 2018, Poussière, acier, 100 x 420 cm

C’est lors d’un voyage en Égypte, durant son enfance, que Jean-Baptiste Monteil découvre la reproduction de cartouches et le sens de ces amulettes. Ce symbole, contenant le nom du pharaon, présent dans les tombeaux et sur les murs des sépultures pyramidales, participa au déchiffrement des hiéroglyphes et inaugura les recherches en archéologie. Parce qu’ils ressemblaient aux cartouches à poudre de leurs fusils, les soldats de la “Campagne d’Égypte” de Napoléon Bonaparte les nommèrent ainsi. Dans un désir de quête ou d’enquête similaire, Jean-Baptiste Monteil a réalisé des bas-reliefs photographiques des sous-sols et des canalisations de son immeuble pour en faire le support d’une mémoire gravée dans la poussière. La matière poudreuse et instable a reçu par contact l’empreinte des images au préalable incrustée sur plexiglas. Éphémère, la cartouche témoigne de l’esprit du lieu et des micro vibrations des vies évoluant au-dessus.

BIO : Né en 1991, diplômé de L’École des Beaux-Arts de Paris en 2018, Jean-Baptiste Monteil est aussi responsable de l’atelier photographique à l’École Nationale des Arts décoratifs de Paris, depuis 2020. Il est membre du collectif Nabuzardan.

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3 – Clément Bouissou

L’homme à la tunique aux couleurs changeantes (portrait de groupe), Pierre ; L’homme à la tunique aux couleurs changeantes (portrait de groupe), Kiki, 2021 Tirage chromogène, épinglé, 110 x 164 cm chacune

Pour Clément Bouissou, la tête se pense comme détachée du corps, tel un objet technique qui en assure la persona. Habillés d’une tunique fabriquée à partir d’une épaisse bâche en plastique transparente, ces personnages hiératiques, comme des statues juchées sur des socles de fortune, sont ceux de récits anciens, mi-conteurs mi-voleurs, des hommes à la tunique aux couleurs changeantes. Ce vêtement démesuré, capable d’épouser toutes les corporéités et les personnalités, recouvre les corps telle une cape de lumière pour en dévoiler les dessous. La frontière entre intériorité et extériorité se dissipe et ouvre sur un entre-deux des corps, des images et des imaginaires. Allégories d’allégories, ces figures habitent un monde entre science et fiction. De l’uniforme médical à la parure souveraine, du costume de cérémonie à l’habit de travail, ces personnages, également membres de son atelier, évoquent une multitude de récits, autant de manières d’être artiste. (EB)

BIO : Né en 1994, à Rodez, Clément Bouissou est diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2019. Il participe à plusieurs reprises au festival Photo Saint Germain et à une résidence collective produite par le Musée de la Chasse et de la Nature. En 2021, il est lauréat de la Bourse des Amis des Beaux-Arts de Paris et effectue une résidence au Centre d’art Le Bel Ordinaire (Pau). Il encadre un séminaire à l’École du Louvre avec la critique d’art Guitemie Maldonado. Il est co-fondateur, avec Louise Lan Millot, du collectif Nabuzardan.

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4 – Diane Benoit Du Rey 

Coulée, 2022, Huile sur toile, 170 x 250 cm 

Diane Benoit Du Rey explore dans ses peintures à l’huile des sensations optiques et la matérialité de lumière. À travers des accumulations et des coulées maîtrisées, elle obtient des nuances qui composent des masses. C’est le poids de la lumière et la puissance des mirages, en ce qu’ils déforment l’espace et les emplacements, qui la retiennent. Que voyons-nous en effet lorsque les superpositions de couches d’air et les empilements de températures, la pression et l’humidité, font dévier les faisceaux lumineux, si ce n’est des jeux de masse et des propagations anormales de lumière ? Ainsi ne percevons-nous que ce que notre entendement reconnaît et estime cohérent. Sont-ce ici des stalactites, une impression de froid ou d’espace caverneux, une hallucination haptique ou de simples abstractions colorées ?

BIO : Née en 1989 dans les Yvelines, Diane Benoit du Rey s’est formée comme artiste peintre à la Haute Ecole des Arts du Rhin à Strasbourg. Après plusieurs résidences en France et à l’étranger (Etats-Unis, Kenya), elle s’installe à Paris en 2015. Elle est lauréate de Paliss’art en 2016, et sélectionnée en 2017 et 2020 pour Novembre à Vitry. Elle a participé à plusieurs expositions en galeries et à l’occasion de biennales d’art contemporain. En parallèle, elle étend ses recherches de peinture en déplaçant son travail dans l’espace public. C’est dans ce cadre qu’elle remporte en 2019 sa première commande publique avec la réalisation d’une peinture murale à Paris, puis en 2021, avec le projet de création d’une fresque monumentale à Vitry-sur-Seine.

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5 – Ibai Hernandorena

Autopotraits, 2022, Techniques mixtes, dimensions variables

La pratique d’Ibai Hernandorena sonde les utopies manquées de la modernité, avec ses architectures de béton, tantôt perçues comme des abris ou des cocons, tantôt comme des espaces d’une domestication qui ne dit pas son nom, à l’instar du Modulor de Le Corbusier. Au fil des années, sa réflexion se déplace des notions d’habitation aux structures de protection des corps, carénages, carapaces et autres chrysalides. Au sein de cet apparent mutisme, c’est au contraire la relance des récits et d’un vivre-ensemble qui s’esquisse. Parmi ses pièces, souvent réactualisables et modulables, s’invite alors la figure d’un yétis, sobrement intitulé L’Autre. Monstre d’une altérité radicale, la créature légendaire des grands froids devient un embrayeur d’imaginaires qui épouvante ou veille sur les enfants. Juchées sur des socles recouverts d’une marqueterie nous plongeant dans l’ambiance surannée d’une cuisine, deux yétis semblables à deux totems trônent dans l’espace. Réalisés à la mesure du père et de sa fille Simone, née lors du premier confinement, ces deux entités deviennent les gardiennes d’une filiation généalogique qui se joue du domestique et des rapports de domestication. 

BIO : Né en 1975, à Saint-Jean de Luz. Après une année de résidence à Barcelone à la Fondation Tapies, en 2017 et deux ans à Nice, pour un programme de recherche à la villa Arson, préfiguration du doctorat de 2013 à 2015, Ibai Hernandorena vit et travaille à Paris. En 2000, il obtient son diplôme à l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy. Ibai Hernandorena a exposé au MAK Center à Los Angeles, à la Galerie Laurence Bernard à Genève, à APAP2010, à Anyang en Corée du-Sud, au Retina film festival à Rome (liste non exhaustive), et en France à la Villa Arson à Nice (commissaire Mathieu Mercier), au Palais de Tokyo à Paris, à la Galerie Ygrec à Aubervilliers, à la galerie sin-titulo avec le Frac PACA, à Evento Bordeaux (commissaire Michelangelo Pistoletto), à Nuit Blanche Paris. Il a également été lauréat de commandes publiques à Paris-St Denis, Grenoble, Eyguières, Marseille et a maintenant un projet Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France.

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6 – Chedly Atallah

Métastases II, 2020-2022, Argile, métal, silicone, savon d’Alep, plastique, video, dimensions variables

Chedly Atallah explore les bouleversements géopolitiques du monde arabe post-révolution ainsi que l’actualité des guerres au Proche et Moyen-Orient, en révisant ses mythologies. À partir des mémoires de son grand-père atteint de rétinopathie, il développe une réflexion sur l’aveuglement, comme accumulation de strates d’histoires collectives, personnelles ou fictives. Métastases II est une œuvre évolutive qui s’adapte au contexte de monstration et prolifère en s’infiltrant dans les failles du lieu qu’elle contamine. Des flaques de silicone translucides s’écoulent, un écran éventré diffuse le morphing des sarcophages de ses ancêtres phéniciens, des éclats de savons d’Alep, servant aux ablutions, sont stockés dans des sacs de congélation suspendus à un réseau de tubulures agençant une architecture frêle et dédalique. Celle-ci est à l’image d’un pays dont la dysorthographie systématique de la Covid est le symptôme d’une politique préoccupée davantage par son parti que sa population ; parti ayant fortement participé à la destruction de la ville martyr d’Alep. Ainsi les espoirs nourris par la révolution – souvent symbolisée par le printemps dans un occident moralisateur, l’est ici par la pluie puis le déluge – sont toujours susceptibles d’être accaparés par une minorité. Les luttes doivent sans cesse recommencer, comme l’écrivait le poète irakien Badr Shakir Al-Sayyab dans le Chant de la pluie

BIO : Né en 1991 à Tunis, Chedly Atallah est un artiste, architecte et scénographe qui vit et travaille entre Tunis et Paris. Après des études en architecture à Tunis (ENAU) puis à Paris (ENSAPLV), il intègre les Beaux-Arts de Paris où il tisse un fort lien avec l’artiste sculpteur Emmanuel Saulnier avec qui il codirige différents ouvrages. 

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7 – Louise Lan Millot

Con ếch, 2021, Impression pigmentaire contrecollée sur aluminium, châssis affleurants en chêne, 25,5 × 34 cm

Les photographies et films de Louise Lan Millot alternent les plans nets et flous empêchant le point de vue de se fixer. Le regard glisse et éprouve l’artificialisation d’un monde lors de sa recomposition en 2D, avec ses superpositions de plans et de textures. Initiant un voyage dans la mémoire filiale, elle remonte le parcours de son grand-père vietnamien immigré en France à 16 ans. Con ếch a été photographiée au Vietnam dans un espace domestique entre le jardin et la maison. Seul, encerclé de barreaux en béton, le batracien incarne cette double (amphi) vie (bios) qui débute à l’état de têtard sous l’eau et termine sa métamorphose sur terre. Alors que la pêche à la grenouille est très prisée, l’amphibien bénéficie à la tombée de la nuit d’une zone de protection et d’humidité propice. En arrière-fond, les néons de la ville génèrent une atmosphère post-apocalyptique qui rappelle l’histoire d’un pays frappé par les bombardements d’un herbicide orange produit par Monsanto et Dow Chemical pour le département de la Défense des États-Unis. La guerre chimique issue d’un arsenal « d’herbicides arc-en-ciel » détient, en dépit de son nom, un des tristes records de tonnage de bombes, qui continue de contaminer la population et les écosystèmes des décennies après.

BIO : Née en 1993 à Paris Louise Lan Millot est diplômée d’un Master de Lettres Modernes en 2016 et des Beaux-Arts de Paris en 2019. Son travail est montré lors d’expositions collectives à la Villette à Paris, à la Biennale d’Art Contemporain de Bangkok, au Centquatre-Paris ou encore lors du festival PhotoSaintGermain. En 2021 elle obtient une aide du CNC pour son prochain film et est sélectionnée à Création en Cours, résidence organisée par les Ateliers Médicis. Elle est co-fondatrice, avec Clément Bouissou, du collectif Nabuzardan.

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8 – Miguel Miceli

Les Jardins de la Dépression, 2019-2022, Végétation chimique évolutive sur charbon, aquarium, structure en acier, néons, 150 x 80 x 120 cm
Terrae Nullius, Gravure laser sur béton, pigments, 60 x 60 x 4 cm, 2022

C’est par accident que Nicolas Lemery découvre en 1705 le moyen de cultiver une végétation chimique, à partir d’ammoniac et d’une solution saline. Tombées en désuétude et erronées dans ses conclusions, ses expérimentations furent redécouvertes lorsque la lessive Mrs Stewarts, à l’époque de la Grande Dépression, vulgarise le procédé à des fins marketings, en fournissant la recette permettant de créer son propre « Jardin de cristal », autrement appelé « Depression flower » ou « Poor man’s flower ». Les Jardins de la Dépression tentent de reproduire l’organique par des moyens industriels, en spéculant sur le devenir d’une végétation artificielle dans un monde desséché, où la nature aurait assimilé les éléments issus de l’industrie pétrochimique. Évoluant dans un aquarium, la pièce véhicule le double imaginaire d’une nature tantôt domptée par l’humain dans une perspective prométhéenne et économique, tantôt en osmose avec ce dernier, selon une attitude orphique et poétique.
Terrae Nullius (territoire sans maître) explore l’imaginaire de ces espaces géographiques viables, mais non annexés à la souveraineté d’un État ou d’un processus de colonisation. Gravés au laser sur des dalles de béton, ces territoires non répertoriés cristallisent le désir d’une appropriation par la technique comme le seront sans doute les corps célestes (Lune, Mars, etc) à plus long terme.

BIO : Né en 1992 à Bruxelles, d’origine Italo-Espagnole, Miguel Miceli est diplômé de la Slade School of Fine Art – UCL de Londres et de l’ERG (École de recherche graphique) de Bruxelles. Son travail a été exposé dans de nombreux lieux émergents à Londres, au Portugal, en Corse et en France, ainsi que dans plusieurs Centres d’Art Contemporains en France.

Photos ©Lajibe