Sun Yuan & Peng Yu. Du choc à l’expérience ?

Sun Yuan & Peng Yu. Exposition Dear
Galerie Perrotin

Pour cette rentrée des galeries parisiennes, un peu de spectacle, d’onirisme et un profond malaise qui nous laisse sur la réserve tant la machine semble rodée et finement ficelée. L’œuvre des artistes chinois Sun Yuan & Peng Yu ne peut laisser indifférente, tout est en effet orchestré de telle manière à nous mettre en situation de curiosité, de perplexité et d’inconfort.
À peine entrés dans la galerie, le processus de déstabilisation est en marche. Accueillis par une marmite déversant sa tambouille à même le sol, un premier haut-le-cœur initie notre parcours, tant le contenu ressemble à des sucs digérés. Car il s’agit bien d’un parcours, presque initiatique, semé de doutes ou de moments enchanteurs auquel nous invitent ces artistes.

Relevant la tête, on découvre, mi-amusée mi-pénétrée, cette intrigante installation, où un cortège de raies géantes ouvrent la voie à une vielle dame à la moue endormie. Des oiseaux exotiques empaillés escortent la parade, ajoutant à l’ensemble une impression majestueuse de flottement.

L’aspect surréaliste de la scène nous plonge dans une sorte de rêve éveillé. Telle une invitation au voyage, cette installation lumineuse ouvre les imaginaires, renvoie à des plaisirs enfantins, ou à des craintes plus enfouies dont les références mythiques donne à la scène les allures des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Entre les abîmes de l’océan et les hauteurs célestes, cette procession se révèle être un ultime voyage, emportant la morte somnolente vers des contrées inconnues. L’installation If I die répond à une vidéo, où Peng Yu exprime ses angoisses face à la mort, dans cette installation se sont, au final, ses désirs de réincarnation et de vie après la mort qui se métaphorisent.

La deuxième pièce, plus sombre, plus intime, se présente comme un salon huppé, où une classe aisée et d’un certain âge attend la tête enveloppée sous d’énormes pierres. Hermétiques au monde, aux autres, à soi, ces visages pétrifiés connotent assurément l’absence de communication, la froide distance de personnes si proches soient-elles. Mais au-delà, il s’installe une impression d’immuabilité qui renvoie à une époque ou une génération, figée sur elle-même, comme attendant, impassible, un événement qui se ferait attendre. Face à ces sculptures hyperréalistes, se tient, dans un impossible dialogue, un personnage difforme assis sur une chaise à roulettes. L’atmosphère générale est pesante, lourde d’équivoques. Le spectateur, timide mais curieux, s’approche, lentement, au milieu de ces créatures figées. On observe, cherche, scrute, sans même réaliser que l’on devient l’objet d’une attention inquiétante. Au moment même où dans la pièce d’à côté retentit un violent choc, nous sommes saisis d’une double panique qui s’expérimente plus qu’elle ne se raconte…

Nous comprenons alors que ces sculptures, appartenant à l’origine à une pièce intitulée Teenager Teenager réalisée en 2011, deviennent les téléspectateurs imperturbables d’une nouvelle performance, dans laquelle nous devenons nous-mêmes le spectacle d’une nouvelle fable.
Enfin, la dernière salle se résume à un tube en caoutchouc qui s’anime brusquement par un système d’air comprimé. Tel un serpent, le tube s’agite, semble mu par une incoercible agressivité, pique de chaque côté le mur pour finalement retomber, sagement à plat, dans l’attente d’une nouvelle proie.

Au terme de ce parcours, nous restons un temps transis par le trouble. Les sculptures hyperréalistes provoquent toujours ce fameux sentiment d’inquiétante étrangeté qui surprend souvent lorsque les limites entre imagination et réalité s’effacent, où ce que nous avions tenu pour fantastique s’offre à nous comme réel. Dans le vacillement permanent entre animé et inanimé, poésie et vision lugubre, nous sortons perplexes et médusés, quoi qu’il en soit, dubitatifs.
Si pour certains, l’art chinois excelle dans les effets de choc, nous admettrons que cette installation a le mérite de nous faire vivre une expérience particulière. Avec le recul se perçoivent le sarcasme et l’ironie acerbe de ces deux artistes. Nous retrouvons leurs thèmes de prédilections, ceux de la mort et de la vie, d’une société consumériste et anxiogène dominée par des mécanismes invisibles qui nous manipulent, nous isolent, nous cachent ou nous montrent ce que l’on ne saurait voir.

L’exposition Dear de Sun Yuan & Peng Yu à la Galerie Emmanuel Perrotin du 12 septembre au 9 novembre 2013. Performance chaque vendredi et samedi aprés-midi.
Toutes les images courtesy the Artists and Galerie Perrotin