Nelson Pernisco. « Si par parking, vous comprenez jardin »

« Si par parking vous comprenez jardin », texte d’exposition personnelle de Nelson Pernisco, à la galerie Bertrand Grimont, Paris, janvier-février. 

 

Le temps ne fonctionne plus à échelle humaine, seuls les restes de son passage prédateur sur terre dresse une mémoire par défaut. Partout les fossiles de son activité laissent les traces d’un passé dont on ne sait s’il fut glorieux ou ignominieux. Les composants du monde sont désormais un mélange d’entités naturelles et culturelles, matérielles et organiques, dont on a enfin cessé la logique de séparation à coup de dualismes vains. La cohabitation animale, végétale, minérale est totale et chaque règne s’éprouve dans une continuité ontologique.
Voilà ce que l’effondrement à venir nous enjoint de nous souvenir et d’anticiper.
Penser la fin des temps, c’est sans doute aussi faire l’expérience des temps de la fin.

Pourquoi sommes-nous fascinés par les ruines et la fin du monde ? Pourquoi l’humanité n’a cessé de projeter ses désirs de catastrophes, des tragédies grecques aux dystopies contemporaines. Le monde n’en finit pas de finir. Les crises n’en finissent plus de se superposer. La catastrophe, de se répéter. L’humanité a accepté la tentation du pire, elle a tant exploité jusqu’à sa déchirure ce qui fait monde, qu’elle a fait des choses des extensions de son propre narcissisme d’espèce. L’heure est sans doute arrivée de prendre la mesure de l’agentivité de toutes entités, d’accepter que nos productions ont agis sur nous et que les qualités dont nous nous prévalons, de la raison au langage, en passant par les civilisations ou l’art, sont le fruit d’une dynamique écoévolutive et de l’action du non-vivant sur le vivant. L’exceptionnalité de l’homme est un mythe d’espèce fondé pour sa survie et son hégémonie.

En reproduisant le cycle d’un écosystème, suspendu dans le temps, Nelson Pernisco fait de nos fictions des laboratoires pour le futur. Aussi, lorsque ce dernier semble condamné, ce n’est pas le destin inéluctable de la vie qui est en jeu, mais bien la fin d’un règne ayant perçu, senti, habité et catégorisé selon la subjectivité – humaine – de son espèce.
Ici se met en place une logique adaptative au sein d’un espace d’incubation qui ressemble davantage à une décharge à ciel ouvert, avec ses ferrailles et ses débris de matériaux industriels, qu’à une couveuse lisse et aseptisée. Des rats se sont accommodés à une architecture plus proche de la forteresse que du cocon, tout en reconfigurant le monde extérieur par leurs actions. Des lianes de courges s’enroulent, telle une danse, autour d’un kiosque de jardin, qui pourrait tout aussi bien rappeler les formes minimales et fonctionnelles du Bauhaus. Un moteur devient une fontaine d’acide s’érodant lentement jusqu’à se convertir en pierre, comme les dépouilles des animaux et des végétaux sculptant les minéraux. Partout s’opèrent des déphasages de perceptions et des imaginaires. « Si par parking vous comprenez jardin », alors c’est toute la poésie des métamorphoses et des transformations silencieuses qui s’invitent à vous.
En s’inventant des univers, en troquant des mots par d’autres, l’Artist-run Space le Wonder / Liebert active des énergies solidaires susceptibles d’inventer de nouveaux futurs tout aussi imprévisibles qu’insondables. Vouloir les anticiper, les objectiver ou les mesurer comme le fit le projet moderne, revient à scanner avec une application 3d un bunker qui s’embrase. En érigeant des piédestaux de glace à la gloire de notre humanité, nous avons oublié combien le soin aux uns ne se fait pas au détriment des autres, et combien la relation sera toujours première dans la formation du monde.