Léa Rivera Hadjes, Por la ventana, isn’it ?

Texte de présentation réalisé dans le cadre du partenariat CEA x Salon UnRepresented by a ppr oc he 

Léa Rivera Hadjes travaille les marges, au sens propre comme au figuré. De ses trajets quotidiens en RER – d’une banlieue à une autre – elle capture avec son téléphone des sensations et des fragments d’urbanité : banc, mains-courantes, barres de soutien, dont la présence discrète oriente, rythme et contrôle nos déplacements. Alors l’artiste enchâsse ses clichés dans un jeu de fenêtres et de cadres en acier qui deviennent les réceptacles d’une rêverie ; un espace de projection, comme si nous étions les spectateur·ices d’une vidéo défilant sous nos yeux, à moins que nous ne soyons nous-mêmes les acteur·ices de la pellicule. Inspirée par les procédés métaleptiques, l’artiste joue des permutations et des franchissements de l’image. Alors que notre regard s’évade, l’image quasi abstraite se poursuit au mur par l’ombre portée ou semble le traverser, pénétrant ainsi une autre dimension. Sans cesse recadrée, détournée, réactualisée une même image circule alors dans différents contextes, supports ou infrastructures, jusqu’à l’épuisement, ou à endosser de nouvelles significations. Ainsi de La Noche Roja, où un soir d’été elle entend des tirs de mortiers, comme souvent dans son quartier. La scène est joyeuse, des passants intrigués s’arrêtent, quand elle réalise qu’il s’agit du 14 juillet ; les détonations sont des feux d’artifice. Un an plus tard, le soir de son vernissage, la photographie tout juste tirée, Nahel, 17 ans, est tué à bout portant par la police. Les tirs de mortiers grondent dans les banlieues et le feu résonne tout autrement.

En établissant des ponts entre des niveaux de réalités, le temps se disloque, les espaces se superposent et, dans ces intrications, de nouvelles configurations mémorielles surgissent. Transférées à l’acétone, alugraphiées sur plexiglas colorés ou films plastiques recyclés, ses images portent les stigmates de ces traversées : des flous, des trous, des transparences et des opacités. La distanciation avec la réalité perturbe la perception linéaire et passive. Elle politise et désaliène, en participant à la prise de conscience du hors-cadre et de ce(ux) qui nous entoure.

Avril 2025