Cindy Sherman : masques, métamorphoses et détournements
Cindy Sherman se métamorphose et multiplie les personnages. Masques, artifices, détournement… Comment l’œuvre de la photographe interroge la notion d’identité et la représentation du genre ? Que montrent les visages en photographie mais aussi, plus largement, dans la pratique du selfie ?
Sans titre. On voit une adolescente blonde, coupe courte, allongée sur le dos à même le sol carrelé, peut-être dans la cuisine d’une maison de campagne. Elle dégage une sorte de nonchalance et de vulnérabilité. Tout est orange… un orange des plus kitsch : le bronzage de la fille, son pull, sa jupe à carreaux qui prolonge le carrelage. Le cadre est serré. Vue du dessus, l’adolescente a l’air songeur, elle tient un papier froissé dans la main droite. L’ensemble dégage un air de pop culture adolescente…
« Je pensais à une jeune fille qui nettoyait peut-être la cuisine pour sa mère et qui a arraché quelque chose dans le journal, quelque chose qui demandait « Es-tu seul ? » ou « Voulez-vous être mon ami ? » ou « Voulez-vous partir en vacances ? » » expliquera Cindy Sherman « elle nettoie le sol, elle arrache ça, et se met à rêvasser. »
L’adolescente, c’est Cindy Sherman. Elle se met en scène dans chacune de ses images. C’est elle, mais ce n’est jamais elle. Déguisée. Maquillée. Transformée. Derrière les yeux bleus de Cindy Sherman, ce n’est pas elle qu’on voit, mais peut-être quelque chose de soi que l’on reconnaît. La spectatrice qui entre dans le personnage. Des portraits au-delà d’elle-même. Des apparitions. Des stéréotypes féminins, dont toute femme est consciemment ou inconsciemment prisonnière.
Une image normative. Une féminité-mascarade. La beauté froide, l’héroïne cinématographique, l’adolescente, la mondaine, la fashion victime, la femme qui vieillit, le garçon. Cindy Sherman joue, s’amuse. Elle interroge l’identité, les codes sociaux, la représentation du genre, le côté artificiel de l’image qui travestit le réel, de l’image par laquelle on se construit.
De manière ontologique, la photographie est le véhicule de clichés. Elle fabrique des clichés. Je trouve que le travail de Cindy Sherman montre ça aussi. Elle photographie des clichés, elle fait cliché et elle le déconstruit. Valérie Belin, artiste plasticienne et photographe
Plus encore que le modèle, ce qui est important, c’est celui-celle qui le regarde. L’œuvre est interactive… La femme est une autofiction.
À travers les âges, on a commencé, par différents truchements, à essayer d’imaginer l’identité comme quelque chose de fixe, figé, donné, pour bien identifier des catégories d’individus. La multiplication des images a permis de se réconcilier avec une perception de l’identité qui est évidemment multiple qui, grâce à la mascarade, se redécouvre. Marion Zilio, docteure en esthétique
Avec Valérie Belin, artiste plasticienne et photographe, Emmanuelle de l’Ecotais, docteure en histoire de l’art, spécialiste de l’œuvre de Man Ray, fondatrice et directrice artistique de Photo Days, et Marion Zilio, docteure en esthétique, enseignante à l’Université Paris 8 et autrice de l’ouvrage Faceworld, le visage du XXIe siècle (Presses universitaires de France, 2018).