Parce que le féminisme et le masculanisme…

« Parce que le féminisme et le masculinisme sont des animalismes », Exposition Chercher le garçon au MAC/VAL, Revue Inferno, mars 2015. À lire ici.

« Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air ».
Virginie Despentes, King Kong Theory.

À la veille de la journée des droits des femmes, et tandis que se terminait la Queer Week à Science Po, s’ouvrait l’exposition Chercher le garçon, au MAC/VAL. Sur une proposition de Frank Lamy, cent hommes étaient invités à participer à l’« événement », prenant le risque, toujours effectif, d’un grand déballage ; d’une exposition à peu près aussi fourre-tout que celle présentée plus tôt à Orsay, Masculin/Masculin. Le nu de 1800 à nos jours.

Plutôt que de fustiger le projet, de le réduire à une sorte de « masculinisme » déguisé, il était tentant d’en évaluer la positivité. Que le programme refuse les codes du patriarcat dominant, critique ses stéréotypes, et offre une place à la plasticité des corps et des représentations sexuelles, n’avait au fond que le défaut de ces ambitions. Appréhendée à partir des théories féministes, le projet de déconstruction des catégories se devait être, sinon efficient, du moins opérant. Le décryptage de la masculinité contemporaine devait donc introduire une différance, au sens d’un déplacement conceptuel et temporel qui rendrait compte du chemin parcouru et de celui restant à faire.

D’emblée, l’idée de s’arroger la critique féministe – elle-même éclatée dans ses formes –, de même que la quantité d’œuvres et l’absence d’une scénographie particulière, semblait dissoudre toutes velléités subversives. Tel qu’il fallait s’en douter, le nombre de pénis affichés sur les murs concurrence une esthétique parfois fadasse, souvent plus stéréotypée que les types qu’elle condamne. Pourtant, au milieu de toutes ces productions se démarquent quelques œuvres, celles précisément faisant acte d’un regard rétrospectif ; celles accompagnant ce lent mouvement prenant part aux discours des Gender Studies (études de genre), et plus généralement des Cultural Studies, en proposant des approches transversales sur les thèmes des minorités, des contestataires, ou des politiques de pouvoir dénoncées par la postmodernité.

C’est le cas de la vidéo d’Oliver Dollinger, qui reprend près de 17 ans plus tard The Tears Builders filmant un Body Builder déambulant seul, face à lui-même et aux attentes qu’il doit relever. De la petite galerie aux murs sombres et à l’image crasse, à la HD et aux larges espaces du Musée, se lisent la chute d’un corps et l’évolution d’un artiste. Filmée avant que ne soit montées les pièces, l’atmosphère y est pesante. Le poids du corps, comme des années, résonne avec une performance silencieuse et minimaliste, mettant au défi autant l’athlète que l’artiste quand à leur capacité à tenir dans le temps.

Parfois graves, parfois légères, les propositions dialoguent, se contredisent, s’interrogent mutuellement. On retrouve avec plaisir des précurseurs comme Pierre Molinier ou Michel Journiac, on ne se lasse pas des corps fragmentés de John Coplans ou de celui que se dessine Jean-Luc Verna au fil des années. On revisite l’œuvre d’un Mapplethorpe, dans une adaptation de paillettes pourpres par Pascal Lièvre, ou d’un Duchamp par Emilio Lopez Menchero.

Au fond que nous dit la chanson ? Au-delà d’une certaine nostalgie aux années 80, il en ressort une quête éperdue : « trouver son nom », comme un impossible ; une marque que le langage, cette autre forme de domination culturelle, fait peser sur les identités. S’en affranchir, tout foutre en l’air, reste le projet sine quo none des luttes pour la liberté des chairs et des sexualités. Ce n’est donc pas de courage dont il faut faire preuve ici, comme le précisait Preciado, mais d’une lâcheté joyeuse, susceptible de déverrouiller les normes au profit d’un « mode d’emploi pour les corps ».

Marion Zilio

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Visuels : 1- Olivier Dollinger, “The tears builder 1998/2015” film HD, 12mn. Courtesy de l’artiste / 2-Pascal Lièvre, “The Purple Mapplethorpe the 91 images”, Paillettes pourpres collées sur pages du livre The Black Book de Robert Mapplethope, 2013. Courtesy de l’artiste.