Aymeric Vergnon-d’Alançon – Histoire d’une Google Car qui rêvait la vie des habitants de Beaugency

Premier acte. L’œil impassible, elle déambule dans la ville et enregistre les moindres détails le long d’une route qu’elle trouve interminable. Dans l’épaisseur grisâtre d’un hiver confiné, elle s’imagine des histoires de vie, des histoires d’amour, secrètes ou publiques, joyeuses ou honteuses. Celles, semblables aux rumeurs que l’on se chuchote sur les bancs de l’église du village, qui ravivent la mémoire collective. Peu importe que le protagoniste soit un enfant, un retraité, un balayeur, un policier, un exilé sri-lankais, une bonne sœur ou des amants stratèges en temps de pandémie. Ces anecdotes, se dit-elle, nourrissent l’intersubjectivité. Elles éveillent un sentiment partagé, souvent mélancolique, empreint de la banalité du quotidien.

Fine observatrice, elle glane des indices, intensifie les instants anodins qui frappent d’ordinaire l’imaginaire du poète. Elle conte des autoportraits en creux, s’émeut de peu, et fantasme beaucoup. Toute divagation devient le support de fictions minimales, qu’elle livre telles de petites stories vues de l’intérieur du bocal. Leurs formes brèves, allusives, voire embryonnaires en font autant de synopsis prompts à poser la matière narrative d’un sitcom à venir. Elle s’imagine en plein road trip, s’entiche de voix off, et rehausse ses histoires d’un titre en néon qu’elle associe au gaz cosmique qui circule dans les tubes fluorescents, mais aussi à une certaine insoutenable légèreté de l’être. Elle aime cette proximité entre trivialité et métaphysique.

Mais soudain le cours des choses s’interrompt. La rêverie s’évanouit. La réalité fait irruption dans le songe.

Deuxième acte. À ces petits miroirs des passions humaines répond le son tonitruant des éboulements. Tout s’émiette. La grande dépression s’installe comme une nouvelle partition dans le long fleuve tranquille de la vie. Le fil fragile de la mémoire humaine, de ses liens, de ses liants, éprouve l’inéluctable tragédie des cristallisations affectives. Elle comprend alors que l’amour ne sera jamais qu’une terrible négociation, l’amitié un terrain à cultiver tel un jardin, le souvenir la refonte artificielle de ce que l’on conserve et de ce que l’on oublie. 

Troisième acte. Ouvrant les dédales de la mémoire comme les entrailles d’un corps, elle se voit en chirurgienne dépliant la chose sur une table d’autopsie. Elle se raconte que la fiction est le lieu d’une construction collective, la promesse à partir de laquelle des voix singulières se réunissent pour faire communauté. Aussi plante-t-elle le décor de leur apparition. Et ce sera au cœur en ébullition des Eaux-Bleues qu’elle installera le dispositif fictif de leur éclosion. Sous les feux des projecteurs, elle s’émerveille de ces bulles au potentiel de vie qui accèdent à leur pleine visibilité comme autant de lucioles dans la nuit.

Au cœur de la nef, on contemple et écoute ces fragments. On tente également d’en recoller les linéaments, à l’image de cette phrase mi-cachée mi-révélée dont on ne perçoit le sens que par un jeu d’entrée et de sortie. L’artiste Aymeric Vergnon-d’Alançon a fomenté le songe d’un œil machinique qui ne sourcille jamais. À moins que le travelling de la vie ne soit que la simulation d’un scan infini.