Pattern of Faces. Rollin Leonard

« Pattern of Faces », Exposition New Portraiture de Rollin Leonard à la Galerie Xpo, Art Press, juin 2015.

Présentée à la Galerie Xpo, l’exposition New Portraiture de Rollin Léonard explore les manipulations tant plastiques que conceptuelles touchant au portrait, dès lors que ce dernier est soumis aux prismes des algorithmes.

Altérés, aplatis, rendus semblables à des flaques d’eau, dont on devine de-ci de-là un œil ou une bouche se détachant d’un fond homogène de couleur chair, les portraits de Rollin n’ont du genre que le nom. Dans cette série, l’artiste ne se contente pas de confronter le visage à l’élément liquide, réactivant en cela cette première rencontre de l’homme avec son reflet dans le mythe de Narcisse ; il assimile la « liquidité » ambiante de nos sociétés contemporaines.

Si « tout ce qui était stable et solide se volatilise, si tout ce qui était sacré est profané », comme le proclamèrent naguère Marx et Engels, alors le visage ne saurait échapper à ce processus de liquidation qui en redéfinirait l’aspect, mais qui en signerait aussi la fin programmée.Distordant la figure, au point de la réduire à un pattern, une sorte de motif proche du crachat dont parlait Georges Bataille à propos de l’informe, Rollin Léonard revisite, et le genre du portrait, et son corollaire machinique. Issu d’une génération ayant intégré aussi bien la matrice algorithmique que ses enjeux politiques et esthétiques, Rollin opère un processus de « dévisagéification » qui, à défaut d’éclater la figure dans un sentiment postmoderniste de devenir-impersonnel, en libère le potentiel plastique à travers son prolongement digital. S’il ne s’agit pas, fort heureusement, de confronter le portrait au sempiternel désir de ressemblance, son travail accompagne néanmoins la réflexion sur les processus d’identifications à l’heure de la traçabilité généralisée. Brouillant les visages par les manipulations offertes par les logiciels de retouche, il « dé-figure » une face, que les algorithmes de reconnaissance faciale cherchent activement à cerner, à chiffrer. Du soft au hard ware se joue un rapport d’analogies variables faisant tantôt de ces motifs le prétexte d’un exercice formel – conduisant parfois cette imagerie liquide à cheminer au sein d’une poétique biomédicale ou scientifique proche de l’ADN ou des fractales –, menant tantôt la critique vers une organologie générale qui renégocierait les relations entre les organes physiologiques, les organes artificiels et les organisations sociales.

À travers cette métaphysique des fluides, parfois proche d’une érotique des fluides, Rollin traduit le passage du solide au liquide, de la forme unifiée à sa dissémination programmée. Mais au lieu d’en retenir l’évanescence de l’être, il en déploie le pouvoir de fascination jusqu’à ce point où, répétés à l’infini, les portraits virent à l’abstraction. L’énigme du visage se transpose alors dans un registre algorithmique, si ce n’est tout simplement rythmique, qui le fait naviguer entre deux eaux : celle d’un flux qui code, celle d’une fluidité qui décode.

En expérimentant de la sorte, le dépliement de la figure, Rollin tente de réinventer un genre – le portrait – dont l’objet, c’est-à-dire le sujet, semble avoir, sinon disparu, du moins laissé la place aux imaginaires techniques qui en cristallisent désormais l’aura.