Grégory Derenne. L’intimité de la matière

Grégory Derenne, ou l’intimité de la matière, solo show à la Galerie Bertrand Grimont, septembre-octobre, 2019.

Des vitrines aux vitraux, des percées de ciel engoncées entre quatre murs d’une cour intérieure aux intérieurs d’Églises à la frontalité artificielle et la géométrie contrôlée, Grégory Derenne poursuit son insatiable recherche sur la nature de la lumière. Depuis la toile intensément noire se rehaussent les blancs et émergent les contrastes violents d’un clair-obscur ; non tant pour signifier les mystères d’une pseudo transcendance que pour en saisir un effet de relief, qui surgit du plan de façon quasi-sculptural.

Si ces peintures ont quelque chose de vertigineux, ce ne sera pas en raison de leurs sujets, traités de manières égale et indifférenciée par l’artiste, mais à cause de la digression qu’inspire la passion du détail. Cet art de l’observation, commun aux plus grands naturalistes et entomologistes, ceux dont la patience aura permis de révéler les secrets d’un monde invisible ou qu’on ne saurait voir, est au cœur de l’hyperréalisme de Derenne. Il en résulte une réalité qui paraît comme augmentée, non par le truchement de la machine qui capterait le réel dans sa vérité la plus plate et objective, mais par l’œil qui ose s’aventurer dans les méandres d’un sens fatalement construit par la perception. Nulle dimension politique ou sociale ne se manifeste dans ces œuvres, à l’instar des peintures réalistes d’un Courbet ; nulle narration luxueuse de détails, si ce n’est celle qui s’apaise ou s’abîme dans le spectacle de ses métamorphoses. Suivant avec obstination le plaisir de scruter et de considérer les choses sans restriction ni hiérarchie, l’artiste répertorie les teintes et les textures qui composent avec leurs lueurs des dictionnaires éphémères. Loin de la sécheresse d’une photographie qui s’écrit par la lumière, Derenne révèle les traces du visible par la profondeur du noir. Un noir qui absorbe et invite à pénétrer dans les subtilités du détail que seul un œil exercé à voir dans la pénombre parvient à discerner. Les ombres ont envahi les compositions et la lumière découpe les formes à la manière de projecteurs sur une scène de théâtre. Vaste réminiscence de ses premières séries où, encore étudiant, il réalisait des tableaux de plateaux TV, ses peintures ont depuis quitté les arts trompeurs de la caverne platonicienne pour célébrer un art des surfaces et des subtiles sensations. Derenne explore en cela l’énigme du métamérisme, dont les différentes ondes de lumière changent les valeurs et les tons de ce que l’on perçoit. Si perfectionnés que sont nos appareils numériques ou analogiques, la couleur sera toujours transcrite dans un rapport de perte ou de saturation, et jamais ne seront traduits l’évanescence d’un instant et le reflet fugitif d’un pli ou d’un plat.

Ainsi Derenne revisite-t-il le noir et le détail diabolique des phénomènes transitoires plus que les qualités immuables des idées lumineuses. Si l’artiste reste à la surface des choses, il parvint néanmoins à percer et sonder l’intimité de la matière. Ce sont au final les effets de réel dus aux variations de l’air et les altérations des volumes ou des arêtes qui retiennent, dans leurs simplicités apparentes, la dextérité et l’œil du peintre.