Virginie Hucher, Anima mundi
Tout commence par l’immersion d’un corps dans l’espace, lorsque celui-ci, vibrant et dansant aux rythmes d’une musique ou de forces naturelles (vent, pluie, tempête, flux et reflux des marées), s’oublie pour devenir monde. L’ego en retrait pour mieux se diluer, le corps de l’artiste trace la ligne sur le sable, la terre ou la neige ; chorégraphie avec la palette du vivant au grès des éléments en présence. Devenues outils, la branche ou la pierre prolongent le geste qui improvise une partition éphémère en harmonie avec le pouls cosmologique.
Tel un caméléon qui s’adapte à son environnement, s’habille de ses couleurs, se pare de ses ornements discrets, l’œuvre de Virginie Hucher se fond dans l’étoffe au creux de laquelle bruissent les plis et les replis de la matière. Elle écoute la couleur, devient l’écorce ou l’écaille, travaille dans le bruit pour trouver son silence, accompagne la lente métamorphose du vivant de règne en règne. Car toute entité est fondamentalement mue par une énergie qui coule de corps en corps, de forme en forme, de langue en langue, sans frontière artificielle entre les royaumes du minéral, du végétal, de l’animal, ou du visible et de l’invisible. C’est sans doute la raison pour laquelle ses dessins chorégraphiés lors de randonnées ne cessent, par la suite, de changer d’échelles et de formats, passant de la performance au paysage, de la vidéo au carnet, du trait à la peinture ou au volume, mais aussi de l’art à l’habité, et de son jardin à sa maison de bois blanc. Son œuvre est en cela matricielle, fertile, créatrice. Elle déborde les limites, résonne avec l’âme du monde, le cycle des saisons, la trame serrée de l’espace-temps, dont certains tableaux portent la trace du maillage.
Dans des camaïeux de beige, d’ocre, de vert ou de bleu, ses peintures et faïences traversent le glaiseux, le terreux, la boue à partir de laquelle toute vie s’anime et s’inscrit dans une genèse. Ses formes minimalistes et symboliques, voire archaïques, nous rappellent que toute origine est sauvage au sens où elle appartient à une mémoire plus ancienne, à un corps plus originel – humus, sable, eau, matière, liquide, sang, humeurs –, et donc aussi à un corps mort, putréfié ou fossilisé, à un corps céleste, immaculé ou laiteux. Car chez Virginie Hucher, il n’y a pas de hiérarchies ni de démarcations vaines entre l’ombre et la lumière, la mort et la vie, le haut et le bas, car le mouvement est premier et participe à l’élan vital du fonds métamorphique.
Dans un vocabulaire dont nous ne maîtriserions pas l’alphabet ou une langue anté-langagière, l’artiste décline une variation de motifs abstraits qui se déplient de manière sérielle comme autant de ritournelles ou d’invocations à réactiver. Chaque série se ramifie, tel un arbre généalogique ou la scission d’une cellule, en titres évocateurs dont la poésie convoque un nœud de relations filiales, soit une lignée qui la précède et une descendance qui poursuit son inexorable mouvement. En cela, l’œuvre de Virginie Hucher ne cesse de donner naissance, de déployer, telle la genèse, des processus en formation.
visuel de couverture : Cosmic Impact, 2020 huile sur toile 65 x 81 cm