Para Bellum. Floryan Varennes
Para Bellum [*], communiqué de presse de l’exposition Motifs belligérants, de Floryan Varennes, au Centre d’Art d’arts plastiques Fernand Léger Port-de-Bouc.
Si le motif renvoie à des notions de répétition ou d’ornement, il connote également l’idée de prétexte ou le fait de prendre part à un état de guerre reconnue. L’exposition Motifs belligérants manifeste cet état de conflit interne et qui s’ignore, elle procède de raisons les plus certaines, mais elle opère en secret, par contamination des imaginaires. C’est dans ce contexte d’oppositions permanentes que navigue l’œuvre de Floryan Varennes.
Entre séduction et aversion, clinique et torture, lumineux et obscure, l’artiste puise dans le répertoire d’un médiévalisme idéalisé un ensemble d’objets politiques ou de constructions sociales, irriguant notre époque contemporaine. Si ces perceptions lointaines fonctionnent par réminiscences, elles véhiculent bien davantage des valences positives, pétries de symbolisme, de merveilleux, d’ode à la chevalerie ou à l’amour courtois, que négatives se faisant l’écho des barbares, de la peste, des croisades ou de l’insurrection. Parce qu’il se présente comme une altérité radicale à la Modernité, le Moyen Âge fonctionne comme une catégorie heuristique qui nous permet de percevoir, sous les catégories figées, le positivisme exacerbé et l’illusion de Progrès, les mensonges et les dénis de notre civilisation.
Coupant l’espace d’une muraille, devenue autant un front défensif qu’un espace de projection, Floryan Varennes déplie un vocabulaire minimaliste et maniéré se nouant autour de questions liées à la parure et à l’apparat. Si l’apparat provient de apparare (préparer pour), on le retrouve dans le sens de cérémonie, éclat, décor, rituel puis secondement, dans celui de dispositif, prothèse, instrument, engin. Tout à la fois, arme et théâtre d’une joute quotidienne, le vêtement incarne un point d’orgue pour saisir ces clivages. Il appareille l’individu pour le rendre digne de paraître et vise la construction d’une singularité disciplinée par un ensemble de normes et de valeurs partagées. Jouant d’un artisanat décomplexé, dans un rituel proche de l’ouvrage de dames, Floryan Varennes procède par fragmentation et stratifications des sens. Ses vêtements obéissent à un système de signes manufacturés, dont il détourne ou accentue les effets pervers. Les corps ont disparu, il n’en reste que les reliques sacrifiées.
Nouveaux martyrs contemporains, les cols blancs de l’œuvre Dysphoria sont devenus des objets de torture agrémentés de milliers d’épingles, interdisant toute satisfaction d’appartenance sociale. Ce sentiment ambigu se retrouve à nouveau dans Hiérophanie, une superposition de cols noirs, brodés de perles de rocailles, semblant affirmer que la manifestation du sacré ou du profane se transmet par filiation. L’ascendance est toujours le prolongement d’une partie de l’appareil, c’est-à-dire des vêtements, des masques ou des fonctions définissant nos géniteurs. L’étirement dans l’œuvre Ex Aequo pourrait en être la manifestation torturée et sublimée, une sorte de réflexion sur notre héritage génétique. La série Hiérarques polarise, quant à elle, les transversalités des genres : des rabats de vestes masculines ont été coupés puis fusionnés, de manière à adopter la forme de vulves ou de mandorles. Les hiérarchies se sont littéralement invaginées, de sorte que le vêtement se trouve investi d’une dimension guerrière, telles des dagues alignées qui partiraient au front.
Si longtemps les vêtements ont trahi notre origine sociale, il devient aujourd’hui plus difficile d’en cerner les rapports de force : le jogging a fait son entrée dans la Haute Couture et la bourgeoisie s’habille en grunge. Avec Équipotence, l’artiste déplace l’imaginaire fantastique du Moyen Âge en d’incroyables formes mythologiques ou monstrueuses semblant capturées derrières des grilles de perles. Le jogging est devenu un monopantalon, évoquant une sirène qui sonne l’alarme de toutes les réversibilités entre le réel et l’imaginaire, l’homme et la femme, l’ornement et l’armure, la haute et la basse culture.
De même que le vêtement prolonge le corps et l’identité, l’architecture profite d’extensions qui en font son « caractère », ainsi des enseignes ou de la meurtrière qui apparaît comme l’ancêtre du panopticon – la prison imaginée par Jérémy Bentham. « Voir sans être vu » fut le rêve d’une modernité qui s’obstina à mettre en case le réel et les individus, en les rangeant par catégories, usages ou fonctions. La meurtrière Belligerae, constituée de mousseline de soie noire, de sequins et de perles noires, affirme avec force et dissidence sa transmutation. Elle défend la volonté de se positionner à contre-courant de ce que l’on attend d’elle. Sa ligne de front se situe sur un autre niveau, plus abstrait : une guerre des imaginaires et des a priori, dont il nous faudra des siècles pour désenclaver les instances de pouvoir et la biopolitique. Enfin, si l’étendard formalise cette « enseigne de guerre » qui exclue ceux qui n’en feraient pas partie, il est d’abord ce qui rallie une communauté en lutte pour les mêmes convictions, sous un même drapeau.
L’exposition Motifs belligérants apparaît ainsi comme une salle d’armes ou de tortures. Entre affublement et affabulation, l’œuvre de Floryan Varennes se présente comme les vestiges de reliques contemporaines investies de récits guerriers et immémoriaux. Ces pièces deviennent les motifs d’un trouble à dépasser, à vaincre ou à assumer, dont les ex-voto incarnent un vœu d’apparat, c’est-à-dire d’ornement et d’armement.
[*] « Prépare la guerre ». Abréviation de la formule Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre).
image de couverture : Floryan Varennes, Hiérophanie, 2017. Cols de chemises, perles de rocailles noires, 20 x30 cm.