Marion Bataillard : sujet zéro
Au point de départ de la démarche de Marion Bataillard pourrait se situer le « sujet zéro de la peinture » : un autoportrait. Celui-ci revient régulièrement dans son travail, comme une ponctuation, non pour affirmer la présence et l’aura de son autrice, ainsi que le genre du portrait en assurait l’autorité, mais pour enclencher un jeu de perceptions et d’expériences partagées. Dans ses tableaux se cristallise un temps vécu, se lit la loi des sélections et d’une mémoire fatalement parcellaire, arbitraire, muable. À la différence des peintures réalisées d’après photographies ou images glanées sur internet – devenues monnaie courante dans la peinture contemporaine –, Marion Bataillard peint d’après modèles vivants, dans son atelier, bénéficiant de la lumière parfois ingrate de la ville et des fluctuations de son environnement.
Cette prise de conscience du hors champ l’invite progressivement à une réflexion sur le dehors. De ce point de départ axé sur des portraits ou la mettant en scène dans des poses souvent absurdes, teintées d’autodérision ou de sexualité effrontée, la peintre déplace son regard vers les zones de circulation. Ce ne sont plus les figures ni leur rapport au format qui déterminent le tableau, mais les relations et les intensités qui transitent entre ces dernières. Cette évolution récente dans son travail fait de l’espace un troisième terme qui perturbe cette dualité première, en animant la composition d’un souffle salvateur.
Si sa recherche est imprégnée de la tradition picturale occidentale – que ce soit dans l’utilisation de pigments et de tempera, dont elle maîtrise tous les secrets de fabrication ou dans le détournement d’une iconographie christique, dont elle conserve les codes de structuration de l’espace –, ce sera pour mieux la compromettre aux temps présents. Ainsi la croix est-elle substituée par une poutre ou un poteau, sorte de colonne verticale qui organise et ouvre l’espace du tableau sur un autre espace. De même le thème de l’Annonciationse mue-t-il en Énonciation, affirmant par-là des gestes d’amitiés très peu thématisés dans les arts visuels.
Aussi est-ce toute la rhétorique de la hiérarchie des genres qui se trouve court-circuitée. Il ne s’agit plus de peintures d’histoire, de portraits, de scènes de genre, de paysages, ou de natures mortes, bien que tout cela à la fois.Les codes et les catégories iconographiques sont sécularisés, voire profanés, tout en conservant leur dimension sacrée. Un format retable devient le support d’un paysage vertical, une nature morte un sujet vivant, et un visage un objet comme un autre. Chacun participe sur un plan d’égalité, à l’instar du titre du tableau, à l’équation de la composition.
Cette volonté d’enrayer les classifications, les hiératismes ou les perspectives propres aux lois édictées pour façonner l’ordre du monde et ses subordinations fait transparaître de manière malicieuse une critique qui réaffirme la place de l’artiste dans la société et les rapports de forces qui y prospèrent. Une tension permanente se joue dans un maillage et une coprésence de tous les éléments, dessinant ce que Marion Bataillard désigne comme « un type de chorégraphie entre les corps ». De sorte que la ville apparaît désormais comme la manifestation d’un espace politique, où se négocie une certaine idée d’horizontalité et de de démocratie.Dans ces « rêveries de scènes de groupe », la relation à l’autre, aux autres, au monde est première et atteste un sentir ensemble, dont l’expérience partagée semble le véritable sujet.