LE TROUBLE, LE DOUBLE ET L’OUBLI
François Marcadon et Lucas Séguy, Le trouble, le double et l’oubli, L’Atelier, Nantes.
Tout débute par un trouble réciproque, un truc qui dérange dans la manière de montrer et de transformer les corps. Réunis par l’entremise de Patricia Buck, François Marcadon et Lucas Seguy dévoilent un ensemble de travaux réalisés sur plus d’une décennie. Le Trouble, le double et l’oubli condense les obsessions des artistes, liées aux représentations de soi, de l’alter et des altérations en tout genre. De l’impossibilité de fixer une identité aux oublié·es de l’histoire, des dérives de l’ego à sa dissolution ou sa réification, l’exposition ravive les censures et les blessures qui façonnent notre rapport aux corps. Quand l’assignation de genre nous définit et le désir tente de s’affranchir, l’absurde devient un antidote qui condense, à l’égard du rêve, les angoisses et les pulsions refoulées pour en déployer l’innocente et criante ambiguïté.
Trouble, double, oubl·, le décrescendo rythme le titre, répète et resserre les lèvres tels un baiser imaginaire ou la moue des culs-de-poule des airs mielleux d’Instagram. L’allitération opère comme la mastication d’un malabar : une ritournelle d’onomatopées qui soudain claque ou étrangle. ‘Oubl. Trop gros, trop sucré, trop rose, le charme artificiel du chewing-gum iconique a tôt fait d’écœurer, sa saveur de s’essouffler. Bientôt, ce dernier n’est plus qu’un vulgaire morceau de latex, collant et coriace à mâcher.
Les œuvres de François Marcadon et de Lucas Seguy sont semblables à des malabars. Elles débordent, détonent telles des bulles, sécrètent un surplus de salive, nouent les langues. Mais elles sont aussi, paradoxalement, un pied de nez à la figure de Malabarman, ce héros bodybuildé, blanc, blond, emblème du mâle alpha. Sans doute, les corps androgynes, passifs, clownesques ou non-valides, les femmes-socles ou fleurs, les bébés hilares et les chimères qui parsèment l’exposition affirment leur écart de déviance dans le paysage des référents hétéronormés. Iels sont le rire qui moque une certaine masculinité hégémonique et toxique, qui n’a plus que la domination comme arme de valorisation. Les œuvres trompent en cela la norme et acheminent des contenus latents sur le devant de la scène. Elles transpirent le sexe ou suintent la frustration, et toujours dérangent le mythe de la virilité. Entre amour et charge mentale, sarcasmes et plaisirs, elles déconstruisent le malaise masculin, celui par lequel les hommes ont construit leur propre piège en réprimant leurs émotions, en redoutant leur impuissance, en honnissant l’effémination qui les guettent.
Irrésolues, indécises ou tout simplement sans titre, elles résistent aux cases et attisent notre désir. Sans dessus dessous, elles dessinent de nouveaux destins du masculin, jouent avec les genres et les relations sociales qui dictent les contours de·s soi·s. Sur le fil du rasoir, elles montrent en définitive ce qu’on ne saurait voir, à l’image des ruses d’un inconscient exhibant ses oppressions le temps d’un rêve. Elles installent des points de bascule de la veille à l’éveil, dans une affiliation toute surréaliste qui renverse les perspectives et dénoue les boucles de nos assujettissements.