Lanee Hood-Hazelgrove. Motifs contre motifs
Artiste autodidacte, Lanee Hood-Hazelgrove s’est mise à la peinture tandis qu’elle accordait les pianos de la prestigieuse Julliard School, à New York. Sans doute, son oreille absolue (perfect pitch), lui a-t-elle insufflé le goût des harmoniques et une certaine idée de résonance cosmique. Être à l’écoute des diverses tonalités, couleurs et pattern, c’est épaissir l’étoffe du réel d’une polyphonie de modes d’existence.
Ses travaux les plus récents explorent les espaces domestiques en tant que milieux de vie. La maison y est d’abord perçue comme un paradoxe, à la fois cocon protecteur et lieu de domestication ou d’assignation identitaire. Mais elle représente également une collection d’objets imprégnés de la personnalité de son propriétaire. Pris ensemble, ces objets forment les contours d’une vie jusqu’à prendre vie eux-mêmes, composant ainsi des mondes qui se déplient à l’infini.
Ses peintures sont comme des allégories. Elles expriment des systèmes de relation entre le concret et l’abstrait, et tentent de canaliser des souvenirs ou des pulsions négatives, en une vision plus positive, voire fantastique. Lanee Hood-Hazelgrove m’explique que la plupart de ses œuvres s’inspirent de son environnement immédiat. Elle revient sur les épisodes traumatiques de son enfance, et plus précisément sur le quartier défavorisé dans lequel elle a grandi aux États-Unis, San Diego. Plus jeune, elle avait le désir de fuir son foyer, afin de s’extraire des conditions sociales qui verrouillent les possibles. Dans l’œuvre Laguna Dr. Bedroom (2021), les poissons semblent voler car, dit-elle, « je les ai libérés de leur bocal », comme on libère des pensées qui minent de l’intérieure. Dans My bassinet (2022), un tiroir ouvert avec des couvertures représente son premier berceau, « ma mère n’avait pas les moyens d’acheter un vrai couffin ». Le monde de l’enfance, avec ses oursons et ses jouets éparpillés, côtoie la trivialité du quotidien : évier surchargé de vaisselle, chambre à coucher mal rangée, frigo vide et cafards rampants. Au-delà de la forme profuse et saturée de ses œuvres se cachent de nombreux détails qui tendent à signifier d’autres potentialités. En dépit des cages et barreaux qui parsèment ses toiles, des mondes dans des mondes prennent vie, parfois selon un système fractal (Miniatures, 2021), où certains tableaux reviennent orner les murs des chambres d’autres tableaux. Ses compositions feuillettent l’espace, distordent les plans, multiplient les motifs, les effets de transparence et d’opacité, si bien que notre perception se trouve enrichie d’autres dimensions.
Des plantes dans des pots et de nombreux animaux, domestiques ou sauvages, s’insèrent également dans la trame serrée de ses toiles pour symboliser l’espoir ou sonder le monde de demain. Il s’agit de penser une maison élargie à la planète, troublée par des catastrophes naturelles, dans une cohabitation périlleuse et inclusive avec les autres espèces. Un fond d’écran d’ordinateur arbore un feu de forêt dans le tableau No Fruit on the Table, un dauphin nage dans un salon inondé dans The Flood. Une ombre menaçante plane constamment dans ses œuvres. De sorte que la maison devient une manière d’explorer les nombreuses inégalités de nos sociétés, de même que les crises écologiques qui affectent les écosystèmes. Mais, dans le même mouvement, Lanee Hood-Hazelgrove nous entraîne dans une danse ornementale qui semble ordonner le chaos. Motifs contre motifs, elle nous invite plutôt à cheminer dans les arcanes d’une joute onirique.