Under the Sand — Nucléus
Under the Sand — Nucléus
Imen Bahri, Minhee Kim, Amélie Labourdette, Dominique Leroy, Souad Mani, Wilfried Nail, Pascale Rémita, Ali Tnani – Directeurs artistiques : Souad Mani & Wilfried Nail – Commissaire d’exposition associé : Jean-Christophe Arcos
du 8 au 23 décembre 2016 à L’ATELIER, 1 rue de Chateaubriand – Nantes
Paru dans artpress, le 11 janvier 2017.
À l’image du silex, dont on débite des lamelles susceptibles de devenir des outils, l’exposition Nucléus relève d’une force brute. Cellules nucléaires ou germes augurant une forme en devenir, les propositions des artistes constituent un fond commun qui tire sa cohérence de son indexation au territoire.
Né de l’initiative de Wilfried Nail et de ses réflexions avec Souad Mani, vivant respectivement en France et en Tunisie, le projet Under The Sand habite l’errance, celle d’une résidence à la fois ancrée et flottante, prenant ses racines à la bordure du désert tunisien, dans le bassin minier de Gafsa. Aujourd’hui en situation de crise, le territoire fut pendant des décennies sous la tutelle de la CPG, la Compagnie des Phosphates de Gafsa, qui en exploitât les gisements. Le modèle colonialiste paternaliste, initié par les fouilles du géologue français Philippe Thomas, avait conduit au développement économique de la région et à la prise en charge de ses employés. Devenues par la suite une entreprise d’état, les mines souterraines furent exploitées à ciel ouvert, les pratiques d’extraction furent automatisées et les besoins en personnel diminués. À la corruption et à la montée du chômage répondait un paysage écorché, véritable plaie ouverte dans le paysage comme dans les chairs. Gafsa devint ainsi le terreau d’un embrassement perpétuel, d’où naitra un foyer de contestations qui s’étendra de Redeyef à tout le pays. Six ans plus tard, les cendres des Printemps arabes étaient retombées, Gafsa allait devenir une voie d’accès au mode de présence de ce qui avait sédimenté, car seuls les climats de crise raniment la mémoire et permettent de replonger les objets dans le processus qui les a vus naître. Le passé était toujours là, enfoui, mais autrement que sur le mode du souvenir conservé. Il était devenu un résidu, la trace d’un déchet qui, seul, en permettrait l’archéologie.
Alors les artistes en résidence se mirent à brosser délicatement le sable, à ponctionner, transformer, parcourir à rebours, à la manière psychanalytique, la formation de ces strates successives, littéralement retournées par les tractopelles. Désormais extirpées du paysage les ayant lovés, les non-œuvres initiant le premier volet de Under the Sand, furent exposées, plus précisément, mises en péril : elles vivaient le passage du nucléus matriciel à leur condition de déchets. Objets d’études, planches contacts, échafaudages, les œuvres n’en sont pas et ne portent pas de titre. Indéfinies, ces recherches ne sauraient pour autant être indéterminées. La scénographie élaborée par les artistes, sous l’œil vigilant du commissaire associé Jean-Christophe Arcos, se dissémine en autant de signes collectés et collectifs, tissant leur sens de leurs imbrications réciproques. Un dispositif en feuilletage, convoquant couches géologiques et temporelles, se développe dans les espaces et offre au visiteur un relais, faisant de lui le nouvel investigateur de cette récolte.
Ainsi en va-t-il de la proposition d’Amélie Labourdette qui se déplie de tréteaux en plateaux. Les photographies deviennent des éléments cartographiques : des tirages mis à l’épreuve, avant de devenir des preuves. Dans une perspective de visualisation en mapping, Imen Bahri expérimente la frontière entre le rituel et les technologies de communication, quand le parterre de sable jonché de détritus de Minhee Kim dialogue avec les abstractions paysagères de Pascale Rémita. Explorant trois niveaux d’élévation, dans une tension permanente entre le jour et la nuit, Souad Mani convoque un archaïque contemporain qui mixe archives extirpées des sols et métadonnées numériques. La mémoire des « fillèges », les villages coloniaux autour des mines, se fait l’écho de récits dont la langue arabe transforme, à l’instar des algorithmes autogénérés d’Ali Tnani ou de l’installation sonore de Dominique Leroy, une réalité présente en un mythe poétique et politique. Des silex préhistoriques aux cannettes de bière, des concrétions de calcaire aux archives coloniales, les éléments glanés font l’objet d’une observation méticuleuse qui emprunte autant à l’ingénuité de l’enfant découvrant l’inconnu qu’à l’expertise des scientifiques.
L’exposition fonctionne par plateaux, rhizomes ou sédimentations et s’expérimente par le milieu, à la verticale comme à l’horizontale. Elle semble, de cette manière, toujours suspendue entre deux temporalités et deux états, sorte d’équilibre précaire à l’image de l’échafaudage de Wilfried Nail qui cristallise une mémoire fragmentée en autant d’objets singuliers liés aux processus de leurs transformations, humaines ou naturelles. Le mode opératoire de l’exposition s’apparente en ce sens à la formation du cristal, dont Gilbert Simondon rappelle que chaque « couche » structurée de cristal solide sert de principe à la formation de la couche suivante. Ces non-œuvres relèvent en définitive d’un processus de cristallisation du phénomène, dont la fascination, chère à Stendhal, n’est jamais loin. Le déchet est contemplé, retourné de sa finalité pour devenir le témoignage d’un passé enseveli sous les sables.