MétaHisme. Une tentative d’élargissement des possibles
L’œuvre de Patrick Laumond semble héritée des qualités plastiques et du langage minimaliste et conceptuel, né en réaction au lyrisme pictural de l’expressionnisme. À la débauche de couleurs et aux tendances figuratives et narratives, les installations de Laumond s’incarnent a priori dans l’abstraction, mais aussi la rigueur et la froideur d’un blanc immaculé. Les formes sont géométriques, les lignes droites, régulières et homogènes. Les tensions et les obliques soulignent une dynamique opératoire, tout à la fois mathématique, structurelle, voire universelle. Pourtant, à la différence des figures tutélaires du minimalisme, parmi lesquels s’inscrivent le suprématisme d’un Malevitch ou le néoplasticisme d’un Mondrian, il n’y a chez Laumond nul désir de dépouiller la vie de la vie, soit la part sensible et subjective du monde, pour en révéler une essence fantasmée.
Initiateur du métaHisme, dont le préfixe MÉTA appelle le Tout, le ISME son propre courant artistique et le H, huitième lettre de l’alphabet, un mouvement infini symbolisé par la lemniscate ∞, Laumond ne cherche pas à formaliser un art dénué de sentiment qui flirterait, comme ce fut le cas au siècle dernier, avec les relents totalitaires et les valeurs mâles de la modernité. Il y a plutôt, dans ce paradigme quasi tautologique, le désir d’y inscrire une irrésistible faille, élevant par conséquent la contingence, l’accident et la bascule au rang de partenaires indispensables. Ainsi le motif de la grille, mû par une supposée pureté, neutralité et ordonnance des choses, sera-t-il toujours contrecarré par une tache, des coulures ou des brisures. Si Concordance universelle paraît une lointaine évocation du vocabulaire minimaliste, avec ses formes dépouillées, ses monochromes et ses utopies de transcendance métaphysique, ce sont finalement les distorsions d’espace, de temps et de conscience qui retiennent l’artiste. Car si la grille matricielle fonctionne de manière spatiale et temporelle, avec ses coordonnées cartésiennes x, y, z et sa référence temporelle t, chez Laumond, elle est le moyen par lequel la conscience se reconnecte aux multiples dimensions du réel, plutôt qu’elle ne les refoule. Enchâssée dans des armatures rigides, son œuvre tend en permanence à résister à la mesure d’une rationalité exacerbée qui nous coupe du monde sensible. Ainsi s’opère un décentrement des considérations modernistes et occidentales au profit de notions privilégiant le mouvement sur la structure, la relation sur les termes, la contingence sur la nécessité, l’altérité sur l’identité. Plutôt que de prôner la frontalité, l’aspect modulaire ou répétitif, ses installations convoquent le chaos selon des ramifications et connexions multiples, où tout semble relier par un fil ténu.
Compris ainsi, le métaHisme est une invitation à démultiplier les perspectives et à embrasser la complexité. Car si pour un occidental, la conscience est toujours un phénomène mental : « je pense donc je suis », c’est bien parce qu’il n’appréhende le monde qu’à travers son point de vue unique, selon le modèle symbolique de la perspective linéaire qui le plaça au centre du monde. En multipliant les focales, c’est tout un spectre de consciences qui s’offrent à nous : animale, végétale, cellulaire, moléculaire ou atomique. La conscience mentale n’est qu’une gamme humaine qui n’épuise pas le dégradé des consciences possibles, de même que la vue humaine n’épuise pas toutes les gradations de couleur ni l’ouïe celles du son. Il y a donc un éventail de consciences, supramentales et submentales, inaccessibles à l’être humain qui, de fait, lui paraissent impossibles, invisibles ou inconscientes. De sorte que le métaHisme est une tentative de réconciliation des dichotomies érigées par la modernité, et d’inclusion des divers modes d’existence qui peuplent le monde. Dès lors ce ne sont plus le temps et l’espace qui sont le cadre des phénomènes, mais les corps et les interactions imperceptibles qui influent sur ces derniers, ainsi qu’Einstein le pressentait dans la relativité générale. Pour appréhender le métaHisme, il nous faudra donc endosser les lunettes d’un ruban de Möbius en acceptant qu’il n’y ait plus de temps linéaire ou causal, de haut ni de bas, d’intériorité ni d’extériorité, d’ordre ou de désordre, mais un entremêlement de tous les possibles, dont la contingence est le nom.