Le Wonder / Liebert. Parasite paradise

Parasite Paradise, texte co-écrit W/L ft M.Z de l’exposition collective Papapapapaaa papa paam du Wonder / Liebert, à la galerie Bertrand Grimont, Paris, janvier-février. 

Depuis cinq ans, nuit et jour, Le Wonder/Liebert occupe de larges complexes désaffectés, de Saint-Ouen à Nanterre, en passant par Bagnolet. L’association façonne ces bâtiments à son image : des lieux hors du temps, habités et pensés, par et pour des artistes, des musicien.ne.s, des réalisateur.trice.s, des curateur.trice.s, des poéte.sse.s, des cuisinier.ère.s et des chercheur.se.s. Fondés par neuf artistes [1], Le Wonder/Liebert en accueille désormais soixante-cinq, ainsi que trois programmes de résidences internationales, avec la même volonté d’action et d’autonomie. Depuis sa création, les membres de l’Artist-run Space élaguent, bêchent, plantent et arrosent ces anciens espaces de bureaux transformés en ateliers collectifs, où toutes les machines sont mutualisées. Les artistes, et le voisinage, contemplent leur parking se métamorphoser en jardin. Au bord du périphérique parisien poussent des sculptures monumentales, des envies de se retrouver, de célébrer la ville et d’allumer les feux. Sur le bitume, les matières signifiantes s’élèvent et se mêlent jusqu’à se recouvrir, fusionner ou entrer en symbiose. Un musée à ciel ouvert qui transforme ses œuvres au gré des conditions météorologiques, un lieu de déshérence où le public est invité à danser l’opéra-destruction, en vue d’une recréation fédérative. L’ADN du collectif se trouve dans son engagement : organiser un espace de travail et d’expérimentation pour de jeunes artistes, en leur proposant matériel et ateliers à bas coût. Derrière cela, il s’agit d’écrire un récit communautaire, en réinventant les systèmes de production et de diffusion de l’art à la périphérie de Paris, selon une économie solidaire et circulaire.

Le bâtiment est une machine de travail, un organisme géant où grouille une effervescence artistique et cohabitent de nombreuses espèces vivantes et non-vivantes, humaines et non-humaines. Les œuvres et les outils sont des prolongements des êtres, à moins qu’il n’eût s’agit de l’inverse. Cohabiter, c’est aussi se laisser contaminer, voire coloniser, admettre que sa singularité provient de liens qui libèrent. Le succès évolutif est né du rôle crucial de l’interdépendance et de la coopération, avant que le vivant ne découvre qu’il est possible de se parasiter puis de s’entredévorer.
En introduisant dans l’espace d’exposition, les conditions de prolifération d’un champignon, Nelson Pernisco administre ce qui soigne et ce qui rend malade.
À mi-chemin entre le règne animal et végétal, les champignons sont à la fois autonomes en produisant, comme les végétaux, leur propre nourriture et dépendant, comme les animaux, d’autres organismes pour survivre. Ils sont la métaphore de ce qui se trame, au quotidien, dans la vie de ces artistes, et de ce qui se joue ici. Pierre Gaignard, Mahalia Köhnke-Jehl, Grolou Louis Danjou, François Dufeil, Guillaume Gouerou et Thomas Teurlai ont tous accepté que leurs œuvres soient parasitées, mais selon une contamination positive et inclusive. Car si la mort appelle la vie, la décomposition et la destruction restent la promesse d’un cycle à venir. De même que dans les forêts naturelles, l’on observe des formes d’entraide entre des espèces d’arbres, grâce au réseau de champignons se développant près des racines, les artistes du Wonder/Liebert ont agencé un système d’échanges et de dons. Les opéras, les barbecues ou les moments de liesse, lors de fêtes, servent de ciment à la communauté et ouvrent le cercle des initiés à de nouveaux publics. Ils nous rappellent que l’art est le lieu privilégié de la rencontre.

À la moisissure et à la prédation sont préférées les friches d’une collaboration qui participe à l’évolution de chacun et chacune. Ainsi s’achève un deuxième cycle, la tour de Bagnolet sera bientôt vidée et le ventre de la bête migrera, à l’issue de cette exposition, vers son nouvel environnement.

 

W/L ft M.Z., janvier 2019

[1]Jacques Auberger, François Dufeil, Jérôme Clément-Wiltz, Pierre Gaignard, Louis Grolou, Nelson Pernisco, Basile Peyrade, Paul SAEIO, Thomas Teurlai (https://lewonder.com).