Noé Herbet. Sound of zigzags

Noé Herbet crée des environnements saturés qui composent, d’une série à l’autre, des paysages mentaux, voire surréalistes, au sein desquels l’esprit semble flotter. Le geste précis et rapide, l’artiste texture la feuille de milliers de hachures aux stylos à bille. Vivant l’expérience du temps qui passe, de la matière qui s’agglutine, des moires et des reflets, il inaugure peu à peu un art des glissements du regard.

2020. Alors confiné, il expérimente de petits formats de grisaille, sorte de lieu clos d’où perce parfois un motif : une porte semblant nous appeler vers un ailleurs, un oiseau, un nuage ou tout simplement une réserve de blanc, tel un espace de projection latent. Bordés de larges marges, perdus dans la feuille, ses dessins intimes paraissent renouer avec les principes du symbolisme. Ils explorent des strates enfouies, là où les automatismes psychiques ont libres cours. 

Puis s’invite progressivement la couleur, lors d’un voyage en Indonésie. Les formats s’étirent, deviennent panoramiques puis se redressent à la verticale. Trait après trait, les tonalités se superposent et l’ajout de matière creuse paradoxalement la vision. Il en ressort des espaces caverneux, mystérieux, méditatifs. Des abysses dédaliques, où l’encre des stylos à bille scintille et irise la surface dans une alternance d’ondulations, de zébrures mates et brillantes. À la recherche de ces reflets tels un miroir tendu à soi, Noé Herbet ne rencontre pas l’autre en lui-même, mais une part du monde dans une sorte de sentiment océanique de fusion avec le tout.

L’horizon se fond alors dans la nuance. Les marges ont rétréci, elles cadrent désormais un champ de forces ou d’énergies qui ne demande qu’à s’exprimer. À l’écoute de son environnement immédiat, poreux à ses infimes variations, l’artiste capte la fluidité de l’instant qui s’enténèbre dans un velouté de couleurs aux tons violets parfois rehaussés de fluorescences. Les espaces clos façonnent à présent des labyrinthes d’eau, dans une communion physique et mentale avec les éléments.

Tandis que nos yeux sont absorbés par le vibrato des traits et que notre regard s’égare, le murmure du ressac active son lancinant mouvement de va-et-vient. Tel un océan sonore qui palpite au rythme de vagues successives, la bille du stylo fluctue sur le papier au son d’un zigzag inlassable. Car au geste répétitif, il faut substituer la musicalité de son exécution, sa cadence saccadée comme le souffle du vent ou la houle de l’océan. Noé Herbet pratique un sport de glisse qui, à l’image du surf, procure un sentiment d’évasion, où se mêle l’ambivalence de l’attente et de l’accélération, de la concentration et du lâcher-prise. L’abstraction y figure des jeux de tensions, mais aussi des points de fuite multiples. À la pesanteur du réel succède la légèreté d’espaces fictifs, dans lesquels le regard glisse à loisir, s’oubliant un temps dans la divagation d’une rêverie intérieure.