Lanee Hood-Hazelgrove, Second nature

Arrivée à Paris depuis près de deux ans, l’artiste autodidacte élargit son fonctionnement écologique (du grec oikossignifiant « maison ») à l’hospitalité de la relation. Dans ses précédents tableaux, Lanee Hood-Hazelgrove explorait déjà les espaces domestiques en tant que milieux de vie. La maison y était perçue comme un paradoxe, à la fois cocon protecteur, mais aussi lieu de domestication ou d’assignation identitaire. Les cages et les barreaux qui parsemaient ses précédentes toiles font peu à peu place à la transparence et l’opacité de voiles ou de rideaux. Les veines du bois omniprésentes vibrent à présent d’une pulsation nouvelle. Les piscines nombreuses creusent et redoublent l’espace, tels des miroirs liquides qui plus jamais ne figent. Comme des bouts de nature artificialisée par l’humain pour conserver, malgré tout, un lien avec les éléments, ces motifs apparaissent comme les vecteurs d’une nouvelle identité à arpenter. Celle d’un exil, d’une « second nature » avec laquelle, l’artiste doit désormais composer. 

Ici encore, les atmosphères et les choses forment les contours d’une vie jusqu’à prendre vie elles-mêmes, créant des mondes qui se déplient à l’infini. Ses peintures sont des allégories, elles narrent des histoires passées ou à venir, des réminiscences diffuses pleines de promesses ou de spectres à apprivoiser, à l’image du cadre disparu dans le tableau Moving Along. La tempête qui éclate derrière les fenêtres est pareil à un miroir sans tain, une nuit d’incertitude à venir ; tandis que le miroir au centre reflète un vase blanc qui se juxtapose, sur un autre plan, avec un vase noir, tels des vases communicants, le yin et le yang. Au sol, le ventilateur soulève délicatement des voiles comme l’annonce d’un nouveau cycle. Nous sommes dans l’appartement, mais aussi l’atelier de l’artiste, les tomettes se poursuivent en hors champ. Tout se redouble, dédouble, mais rien n’est jamais identique. Ses compositions feuillettent l’espace, distordent les plans, multiplient les motifs, si bien que notre perception se trouve enrichie d’autres dimensions.

The Atrium est issu d’un souvenir de jeunesse, le patio au milieu du salon encadre un arbre dont les branches paraissent se développer dans toutes les directions. Plus qu’un simple motif ou élément de décoration, il est le personnage principal du tableau. En arrière-plan, un lit défait de draps rouge et jaune susurre un désir encore flottant comme les tables qui ne touchent pas le sol quadrillé vert. Les murs se percent, puis tombent, à l’instar de Ridgewood Appartment, où elle résidait lorsqu’elle vivait dans le Queens, à New York. L’herbe verte nappe désormais un parterre mouvant et ondulant qui ne demande qu’à être exploré. Le canapé central, symbole d’un confort casanier, n’est bientôt plus qu’un souvenir vide qui se noie dans la répétition, se trouve absorbé dans le motif de la vie.

Désormais le chez-soi se vit grâce à l’hospitalité de ces quelques jours passés à Fascinas, en Espagne, où des douches en terrasse irisent la lumière dans la magie enfantine d’un arc-en-ciel. Ses œuvres expriment des systèmes de relations, une véritable écologie des sois qui transcende les murs et les contours d’un moi. Chez Kelly, Chez Leila, Chez Lauriane, Chez Simon, la vie s’intensifie. Il devient possible d’avoir une piscine dans sa cuisine juste pour le plaisir d’y plonger tous les jours ! Les plantes pulpeuses paraissent gonflées de désir comme le tableau qui orne un mur absent derrière des vêtements négligemment jetés sur un canapé campant désormais un cadre de premier-plan. Mais parfois l’hospitalité a ses limiteslorsque les choses sont trop jolies, trop fragiles, le sol se dérobe et les assiettes menacent de tomber. Black Iris rappelle aussi les difficultés à s’intégrer ; ces moments où l’on se sent aussi inutile qu’un parasol quand il fait trop chaud.

Sans doute, son métier d’accordeuse de piano a insufflé chez Lanee Hood-Hazelgrove le goût des harmoniques et une certaine idée de résonance cosmique. Être à l’écoute des diverses tonalités, couleurs et textures revient en définitive à épaissir l’étoffe du réel d’une polyphonie de modes d’existence, fût-ce au sacrifice d’un moi hanté.