Jean-François Courtilat. La fête n’en finit pas de finir
Confettis, pailles, touillettes et autres cotons-tiges succèdent à l’interdiction émise en 2016, à l’encontre des sacs de caisse. La divine invention, alchimique et magique, louée pour ses qualités d’imputrescibilité, d’étanchéité et de légèreté n’aura pris qu’un demi-siècle pour s’élever au rang de « 7e continent », comme le furent le 7e art ou les désirs de conquête d’un Nouveau Monde artificiel. Symbole de la modernité, du boom de la grande distribution et du gaspillage à outrance, le plastique hante désormais les imaginaires sur fond de catastrophe planétaire. En pleine pandémie, alors que le cirque logistique semble stoppé par un minuscule virus en provenance de Chine, les lois contre l’usage du plastique s’intensifient tandis que les masques jetables jonchent les sols et que l’on vante, à nouveau, le recours aux emballages individuels face à l’urgence sanitaire. Le monde d’après court derrière celui d’hier. Alors on peut bien parier que si l’humain disparaissait, c’est par ses déchets, et le plastique en particulier, que l’on tenterait de reconstituer sa paradoxale existence.
Telle une fable qui se lirait à l’envers, la démarche de Jean-François Courtilat traque les ruines et les exuvies de notre présence au monde. Ses œuvres en sont les vestiges thermoformés, les mues abandonnées de l’animal bipède. Il faut imaginer les discussions enflammées que soulèveraient la trouvaille de ses pièces, quelques milliers d’années après l’ère d’anthropos et des Jésus Christs crucifiés. Des colonnes grecques rejouant la gloire d’un Occident déchu sont désormais les emblèmes d’un kitsch de classes illuminées par l’électricité qui les traverse ; des vases en porcelaine d’inspiration asiatique ravivent l’époque des chinoiseries et d’un exotisme factice promu par la Compagnie des Indes. Achetées dans des ressourceries ou aux enchères sur eBay, ces objets déclassés et promis au banc de la société sont à présent transpercés de touillettes ou de pailles colorées d’un mètre (barrière), à l’image du Saint-Sébastien de Mantegna ou des aiguilles d’acupuncture, entre soin et torture, orgie et décadence. Des masques de sacs plastiques thermoformés recouvrent des masques africains ou des crânes humains dans un mouvement autophage qui se dédouble dans un memento mori mettant la vie sous vide.
C’est l’histoire du trafic globalisé, des tonnes d’emballages, de packaging et de matières polluantes, mais aussi des phénomènes d’acculturation, d’appropriation et de syncrétisme parfois douteux, avec son lot de fléaux et d’épidémies charrié d’un continent à l’autre que nous content les œuvres de Jean-François Courtilat. Le Made in China, propulsé par la politique d’investissement massif du président chinois Xi Jinping, ravive la danse des objets migrateurs le long des « nouvelles routes de la soie ». La démarche de l’artiste, au goût de lendemain de gueule de bois, remonte l’horloge d’un temps détraqué qui ne cesse de recycler sa fin programmée. La fête n’en finit pas de finir, et le reflet de notre présumée supériorité ne renvoie plus que notre face contaminée, dans le miroir des vanités.