Boryana Petkova, Another point of you

Boryana Petkova, Another point of you, Galerie Nosbaum Reding, Luxembourg, février 2024.

Tous ces yeux qui se posent sur elle et avec lesquels elle cherche désormais à composer façonnent l’armure ou le corset qui protège ou entrave les corps. Chaque correction de lunette agit comme une loupe qui amplifie ou distord la vue : l’augmente d’une singularité. Horizon de nos regards, les images en dégradé apparaissent telle une déclinaison de points de vue qui prisment le monde. Inclusive et abolissant les frontières culturelles du bien et du mal, son œuvre flirte avec les tabous de nos sociétés en nous mettant face à des expériences limites, parfois illégales ou amorales. Ses images proviennent de moments anodins avec ses filles, de journée de travail ou de soirées mondaines, mais aussi de scènes rejouant son passé, alors que la drogue, la prostitution, la mendicité et le vol constituaient son quotidien, dans la banlieue de Sofia. Le flou incarne ce point de bascule, où le cerveau croit voir ou refuse l’évidence ce qui se joue devant lui. Car il revient à chacun·e de conserver sa position de classe, de consommateur·ice, du·e voyeur·ice ou, au contraire, de partager la somme de ces expériences extrêmes, fussent-elles confuses, fantasmées ou refoulées. 

Tel un filtre sur la brutalité du réel, l’artiste bulgare, Boryana Petkova, performe son passé qu’elle rephotographie à travers les diverses corrections de verre, non pour le sublimer ou par nostalgie, mais pour en révéler les mascarades et intensifier les fictions qui nous constituent. De sorte que la photographie ne lui sert pas d’outil documentaire, mais de jeu optique et de superposition entre l’appareil photographique et psychique, le réel et la fiction, le voir et les regards. Elle traverse ainsi l’espace des apparences selon un partage de perspectives biologiques, machiniques, sociales, individuelles, conscientes ou inconscientes et, ce faisant, souligne les normes qui appareillent nos regards.

Boryana Petkova ne cherche pas à éclairer l’obscur, elle nous met face à nos propres préjugés et silences complices — straight in the eyes. Si bien que ce que nous voyons ne dépend, en réalité, que de ce que nous sommes.